La modification
du rayonnement naturel
dans le milieu forestier
En pénétrant dans le milieu forestier, le rayonnement naturel est modifié, toujours en quantité, et parfois en qualité. On peut aborder ce genre d'étude d'une façon théorique (considérations d'astronomie, de météorologie et de photométrie) - ou bien d'une façon pratique (emploi d'appareils divers des types décrits page 19). On examinera ci-après les résultats obtenus par ces deux méthodes :
Considérations théoriques
On l'a dit au chapitre précédent, le rayonnement naturel est
dispensé pendant le jour d'une façon permanente par le ciel (source
de rayonnement diffusé, venant de toutes les directions de l'hémisphère
supérieur), et par le soleil (source intermittente et mobile de lumière
dirigée).
En arrivant au niveau supérieur d'un peuplement forestier, une partie
du rayonnement est renvoyée vers le ciel (albédo de la surface
boisée). Une partie plus ou moins importante est absorbée par
les appareils foliacés, les branches et les troncs - une partie enfin
est transmise au sol. D'une façon générale, on démontre,
en photométrie, énergétique ou lumineuse, que l'éclairement
E produit en un point O, situé au niveau du sol, par une source lumineuse
supérieure S, de brillance (énergétique ou lumineuse) ß,
s'exprime par la relation :
E = ß s
s représente la projection orthographique de S sur le sol, avec une
demi sphère de rayon unité (Fig. 11).
Ainsi, un ciel nuageux bien égal de brillance ß assimilé à une surface plane donne au sol un éclairement énergétique de pi ß.
FIG. 11 - L'éclairement reçu en O, d'une surface
lumineuse S, de brillance ß , est égal à s ß
(ROUSSEL 1952)
Comme application, en photométrie lumineuse, on peut ainsi calculer
qu'une surface nuageuse de brillance variant de 1000 à 10 000 bougies
par mètre carré, suivant le type de temps, donne, au sol, un éclairement
lumineux de 3000 à 30 000 lux environ. Le ciel bleu, moins lumineux,
ne donne guère, dans des bonnes conditions, que 20 000 lux environ.
Le soleil a une brillance bien plus élevée. Au moment du solstice d'été, avec un diamètre apparent de 32' et une brillance lumineuse, vers midi, de
15.108 bougies par mètre
carré, on arrive, par un calcul analogue, à un éclairement
de 75 000 lux. Ce qui donne, comme valeur d'éclairement global 20
000 lux (ciel) + 75 000 lux (soleil) = 95 000 lux, très voisine des
chiffres habituellement observés dans les conditions ci-dessus.
Le couvert est nettement discontinu - Sous un peuplement forestier, quand le couvert présente des discontinuités nettes, dans un massif par ailleurs très dense, on peut utiliser la méthode dite du " cercle d'illumination totale " (ROUSSEL 1952) afin de déterminer la proportion du rayonnement global qui parvient jusqu'au sol de l'ouverture (trouée naturelle ou artificielle, bande à bords parallèles, etc ... ) (Fig. 12).
FIG. 12 -Cercle d'illumination totale dans le cas d'une
trouée circulaire (latitude nord voisine de 45°) (ROUSSEL
1952).
La proportion du rayonnement diffusé,
provenant du ciel seul, et qui parvient au sol de l'ouverture considérée
est égale au rapport de la projection orthographique du bord supérieur
de la trouée (p), à la projection orthographique de l'ensemble
de l'hémisphère supérieur (P).
La proportion de rayonnement direct, provenant du soleil seul et qui parvient au sol de l'ouverture, est égale au rapport de la projection orthographique du bord supérieur de la trouée, mordant (t) sur la projection orthographique de l'ensemble des trajectoires solaires, à la latitude du lieu considéré (T), à cette dernière projection, dans son ensemble. D'où, d'une façon générale, la relation suivante, en désignant par I/q la proportion générale moyenne de l'intensité du rayonnement provenant du ciel, dans le rayonnement global, et par I/q' la proportion générale moyenne de l'intensité du rayonnement provenant du soleil, dans le rayonnement global, telles que I/q + I/q' = 1 :
Dans une région où le rayonnement diffusé par le ciel, et le rayonnement direct du soleil représentent, chacun, la moitié du rayonnement global, la relation ci-dessus devient :
La valeur de Rr est déterminée,
par cette méthode, grâce à un procédé
graphique, avec planimétrie précise des surfaces utilisées
dans cette relation. Il est à noter, au surplus, que le principe
même de la méthode de projection adoptée, corrige
dans une large mesure le fait que les heures d'ensoleillement du milieu
de la journée fournissent plus de rayonnement que les heures
d'ensoleillement du matin ou du soir.
Cette proportion simple (moitié/moitié)
n'est pas réalisée sur l'ensemble du globe. Dans la région
saharienne, par exemple, le rayonnement diffusé par le ciel ne
représente guère que 2 à 3/10 du rayonnement global,
le surplus étant fourni par le rayonnement solaire direct.
Mais, au voisinage des régions équatoriales,
très riches, on le sait, en forêts denses produisant des bois
de haute valeur économique, on retombe sur cette proportion moyenne
: 1/2 de lumière diffuse et 1/2 de lumière solaire directe.
CATINOT (1965) a étudié le " cercle d'illumination
totale ", valable pour ces régions, en tenant compte, naturellement,
du mouvement apparent du soleil, très différent sous ces basses
latitudes, et, si l'on veut déterminer la valeur du rayonnement naturel
reçu réellement au sol, de son intensité nettement
plus grande au voisinage de l'équateur (Fig.
9).
La méthode du " cercle
d'illumination totale " permet, naturellement, de déterminer
le profil lumineux, au niveau du sol, dans les différentes régions
d'une trouée ou d'une bande, et également, la façon
dont la lumière, ou le rayonnement, se répartit, verticalement,
depuis le niveau supérieur des peuplements jusqu'au voisinage
du sol.
L'extension de cette méthode
à des peuplements dans lesquels les ouvertures sont de plus en
plus petites, et, à la limite, à un peuplement continu,
est d'une application délicate, et, dans ce dernier cas, on préfère
utiliser une autre méthode théorique, basée également
sur des considérations photométriques.
Il faut connaître aussi les limites
de la méthode graphique qui vient d'être exposée,
et qui est basée sur le caractère, complet et plein, du
peuplement qui entoure l'ouverture.
Dans le cas des peuplements résineux (forêts denses de sapins ou d'épicéas) ces conditions sont approximativement remplies. Voici comment, à la latitude de 45° Nord, se présente, pour l'ensemble d'une année, au niveau du sol supposé horizontal, la valeur du rayonnement relatif dans diverses trouées ou bandes. On adoptera les dénominations suivantes : H = hauteur totale du peuplement - D = diamètre de la trouée circulaire - L = largeur de la bande à bords parallèles :
|
D'une façon générale, on le sait, les stations situées sur le bord Sud (exposé au Nord) des ouvertures auront un rayonnement relatif réduit, constitué à peu près exclusivement des rayons diffusés par le ciel (prédominance de la lumière de courte longueur d'onde) - les stations situées sur le bord Nord (exposé au Sud) recevront plus de radiations, et surtout les rayons directs du soleil (faible prédominance de la lumière jaune et rouge). Pour les peuplements feuillus, on obtient des valeurs différentes, suivant que l'on envisage la belle saison (présence des appareils foliacés des arbres voisins de l'ouverture,
avec des trajectoires solaires
d'une plus grande hauteur sur l'horizon), ou la mauvaise
saison (peuplements dénudés et beaucoup plus
perméables aux rayons divers, trajectoires solaires
plus basses sur l'horizon). Cependant, à titre de
très large approximation, on pourra utiliser les
chiffres du tableau précédent.
Dans les forêts équatoriales, CATINOT (1965) a, selon la même méthode, déterminé le rayonnement relatif transmis au sol, dans des ouvertures de forme et d'orientation variées. Voici quelques chiffres, calculés pour la région centrale de ces ouvertures :
Trouée circulaire
|
|
D = 1/2 H
|
10 %
|
D = H
|
32 %
|
D = 2 H
|
62 %
|
-
|
|
Bandes
d'axe Nord Sud
|
|
L = 1/2 H
|
25 %
|
L = H
|
41 %
|
L = 2 H
|
70 %
|
-
|
|
Bandes d'axe Est Ouest
|
|
L = 1/2 H
|
41 %
|
L = H
|
61 %
|
L = 2 H
|
80 %
|
En comparant les chiffres
ci-dessus (latitude nord de 0 à 5°), avec ceux
du tableau précédent (latitude nord 45°)
on se rend compte que le dosage de la lumière doit
être beaucoup plus " subtil " dans les forêts
équatoriales que dans les forêts européennes
septentrionales.
Le couvert est quasi-continu. - Un peuplement forestier dense, à couvert quasi-continu (en réalité, il n'est jamais complètement fermé) peut être assimilé, d'une façon approximative, à un milieu homogène, dans lequel le rayonnement pénètre, en s'affaiblissant, conformément à une relation classique en photométrie :
En matière agricole CHARTIER (1967), en matière forestière GRULOIS (1967), après MONSI & SAEKI (1953), et divers autres chercheurs, adoptent une formule légèrement différente :
La figure 13, représente la façon théorique, dont, selon GRULOIS, se répartit le rayonnement naturel, du niveau supérieur d'un peuplement forestier jusqu'au niveau du sol.
FIG. 13 - Répartition
verticale théorique du rayonnement relatif
dans un peuplement d'arbres feuillus (GRULOIS
1967).
On doit remarquer
que cette formule présente un caractère
assez approximatif. En effet, comme on le verra
plus loin, le milieu forestier n'est pas photométriquement
isotrope, et le coefficient d'extinction du rayonnement
est plus élevé par temps ensoleillé
(prédominance des rayons dirigés tombant
sur les feuillages), que par temps couvert (caractère
multidirectionnel des rayons, qui pénètrent
plus facilement dans les cimes). Cette remarque
est valable surtout pour les peuplements feuillus,
en été ; pendant la période
de défoliation, k est fortement diminué,
et ne signifie plus grand-chose, puisque
les feuillages ont disparu.
Pour les peuplements
résineux, il semble que les différences
signalées ci-dessus soient atténuées
assez fortement.
De toute façon, et à titre de première approximation, cette méthode présente un intérêt évident, car elle tient compte de certains des facteurs les plus importants dans la réduction du rayonnement naturel, pénétrant dans le milieu forestier, et elle est utilisée par divers chercheurs pour des travaux théoriques.