CHAPITRE II
Étude physique
du rayonnement naturel
Les appareils
Les appareils utilisés pour mesurer l'intensité du
rayonnement naturel tout entier, ou bien de sa seule partie visible, appartiennent à des
types très nombreux, et leur classification peut être envisagée
de diverses façons. Une méthode utilisée fréquemment
consiste à distinguer les récepteurs thermiques et les récepteurs
quantiques. On verra que cette méthode est un peu trop restrictive,
et que d'autres moyens peuvent être envisagés, en photologie
forestière notamment. D'un autre côté, les exigences
spéciales à cette discipline conduisent à rechercher, à côté des
appareils classiques utilisés en météorologie, des instruments
d'un maniement facile, peu encombrants, pas trop coûteux (on doit souvent
en faire fonctionner un certain nombre en même temps), robustes (car
ils sont destinés à demeurer plus ou moins longtemps en pleine
nature), de préférence autonomes (ils sont parfois installés
très loin de tout lieu habité), et, évidemment, aussi
précis et aussi sensibles que possible. Toutes ces qualités
sont, on le conçoit, assez difficiles à concilier dans la pratique.
On se bornera, dans les lignes qui suivent, à énumérer
et à décrire sommairement quels appareils sont utilisés,
soit par les stations de recherches forestières, soit par les sylviculteurs
et par les écologistes de terrain. Aucun d'eux n'est, évidemment,
exempt de tout reproche. Mais les renseignements chiffrés qu'ils fournissent
constituent un élément d'une valeur incontestablement supérieure
aux simples appréciations subjectives et purement qualitatives qui ont été,
jusqu'ici, la règle en cette matière complexe.
Les appareils sensibles à une large gamme de longueurs d'ondes étaient
appelés autrefois " actinomètre ". Mais,
suivant 1a nomenclature admise actuellement, on distingue (PERRIN DE BRICHAMBAUT
- 1963) :
- Les pyranomètres qui mesurent les rayonnements provenant du soleil et du ciel, de courte longueur d'onde (0,2 à 4µ).
- Les pyrgéomètres qui mesurent le rayonnement provenant de la terre, de grande longueur d'onde (4 à 80µ).
- Les pyrradiomètres qui mesurent le rayonnement total, provenant du soleil, du ciel, de l'atmosphère et de la terre (de 0,2 à 100µ environ).
Il existe des appareils plus compliqués, comme les pyrradiobilanmètres, qui font la balance entre l'énergie totale incidente et l'énergie totale de retour.
Les récepteurs thermiques
Dans ce genre d'appareil, le rayonnement global (provenant du soleil et du
ciel) est converti en chaleur ; cette chaleur produit un effet déterminé,
suivant la nature de l'appareil utilisé, et la mesure de cet effet permet
de remonter au facteur dont l'on cherche à mesurer l'intensité
: en l'espèce, le rayonnement solaire.
Les appareils à distillation - Ces appareils
ont une valeur parfois discutée en météorologie classique.
La raison en est simple : beaucoup d'entre eux ont un organe récepteur
sphérique, et ils sont sensibles aux rayons venant de toutes les directions.
Or, en météorologie, on a adopté la règle de mesurer
le rayonnement reçu sur une surface horizontale. La hauteur du
soleil au-dessus de l'horizon a donc un effet différent, dans l'un et
l'autre cas. En effet, l'intensité du rayonnement reçu sur une
surface horizontale (i) s'exprime, en fonction du rayonnement reçu sur
une surface normale à la direction principale de celui-ci (I), et de
la hauteur du soleil au-dessus de l'horizon (h), par la relation classique :
i= I sin h
Il est à noter que certains chercheurs, pour tourner cette difficulté,
ont proposé d'adopter un coefficient d'équivalence (indications
de l'appareil sphérique / intensité du rayonnement sur une surface
horizontale) variant légèrement avec le mois d'observation (GESLIN
& GODARD - 1940). Par exemple, selon ces auteurs, 1 cm3 d'alcool distillé
dans un appareil sphérique (le Bellani) représenterait, en janvier
: 15,9 cal/cm2 sur une surface horizontale, en février : 16,65,
en mars : 16,8, en avril : 17,9, en mai : 18,6, en juin : 18,05, en juillet
: 17,7, en août : 16,83, en septembre : 16, en octobre : 15,35, en novembre
: 15,9 et en décembre : 14.
Par ailleurs, les biométéorologistes, les bioclimatologistes,
font remarquer que les êtres vivants occupent dans l'espace 3 dimensions,
et qu'un végétal, un animal ou un homme, situé dans le
milieu naturel, est, lui aussi, soumis à des rayons venant de toutes
les directions. En somme, ils soutiennent que la règle des météorologistes
ne serait valable que pour des organismes à 2 dimensions (les " larves "
extra plates imaginées par Sir JAMES JEAN, par exemple), que l'on ne
rencontre pratiquement pas dans la nature.
Le plus répandu de ces appareils est le pyranomètre sphérique de Bellani. Il est utilisé actuellement en photologie forestière, dans de nombreuses régions du globe (France, Suisse, Allemagne de l'Est, Tchécoslovaquie, Belgique, Canada, ainsi que dans certains pays du Commonwealth britannique). Son inventeur, le chanoine italien Angelo BELLANI (1776-1852), l'avait conçu primitivement comme un thermomètre totalisateur (il s'agissait d'une sorte de thermomètre inversé, comprenant un réservoir sphérique, à sa partie supérieure, dans lequel la chaleur provoquait une distillation d'un liquide volatil, lequel s'accumulait dans un long tube gradué inférieur). Amélioré par CANTONI (1887), il reçut le nom de " lucimètre ". HENRY, de 1921 à 1926, le perfectionna en montrant que si l'on ajoutait une seconde enveloppe sphérique, autour de la première, et en isolant la partie intermédiaire par un vide très poussé, on obtenait un appareil totalisateur de rayonnement, aussi satisfaisant que des actinomètres plus perfectionnés, comme celui de KIMBALL, ou celui de GORCZYNSKI par exemple. À l'observatoire de Météorologie Physique de Davos, dirigé par le Pr MÖRIKOFER, savant réputé, PROHASKA, en 1947, vérifia qu'il donnait des indications précises (± 5 %), sous la réserve que la distillation ne soit pas poussée sur plus des 2/3, du tube gradué (20 cm3 sur 30 à 32 cm3 au total). Enfin, en 1954, COURVOISIER & WIERZEJEWSKI mirent au point le pyranomètre sphérique de BELLANI-DAVOS (P.B.K.) pouvant atteindre une précision de ± 3 %. Le liquide utilisé était l'alcool. C'est cet appareil qui semble le plus largement utilisé actuellement en photologie forestière. (Fig. 3).
Simultanément, en Grande-Bretagne,
GUNN, KIRK, WATERHOUSE, PEREIRA, MONTEITH et SIECZ (de 1945 à
1960) construisaient le " GUN-BELLANI-RADIATION-INTEGRATOR "
dont le principe est analogue, mais qui peut fonctionner, soit à
l'eau distillée (régions chaudes), soit à l'alcool
propylique (régions plus froides). Son fonctionnement a été
comparé à celui de la thermopile de KIPP, et les
résultats ont été très satisfaisants.
En tous cas, le fait que le Bellani
soit autonome et totalisateur (tout au moins pendant une journée,
en plein découvert et en été - et pendant 8 à
15 jours dans le milieu forestier), le rendent très précieux
pour les mesures de rayonnement solaire et céleste et son
prix relativement modique devrait en généraliser l'emploi
en sylviculture et en écologie. Ceci, sous l'importante réserve
que l'on ne devra pas s'attacher à en obtenir des données
absolues sur l'intensité du rayonnement naturel (pour
les raisons signalées plus haut), mais plutôt des rapports
entre le rayonnement reçu dans le sous-bois et en plein découvert.
Il a été utilisé notamment, par OUDIN (1932), AUBREVILLE
(1937), ROUSSEL (1952-1965), PLAISANCE (1955), VEZINA (1960), KRECMER
(1961), VOJT (1965), GALOUX (1967), ainsi que par de nombreux autres
chercheurs.
Les appareils à dilatation
- Dans ce type d'appareil, la chaleur dilate, soit un gaz (type
mis au point par GOLAY), soit une lame métallique noircie (pour
absorber la chaleur), comme dans le " Strahlungs-Messgeräte
de ROBITZSCH (étudié de 1928 à 1951). Le récepteur,
à surface horizontale, comprend donc une lame métallique
noircie, placée entre deux lames métalliques analogues,
mais blanchies. Le rayonnement solaire, converti en chaleur, provoque
un allongement différent de ces deux sortes de lames, et cette
différence, amplifiée, est inscrite, par un stylet, sur
un tambour rotatif. L'autonomie est de 4 à 7 jours, mais la précision,
sous-bois et par temps couvert, est peu satisfaisante. Son inertie,
également, est assez grande. Cet appareil a été
utilisé en Allemagne, pour des recherches de photologie forestière.
Les appareils utilisant l'effet de thermocouple - L'effet thermoélectrique, c'est-à-dire l'apparition d'un courant électrique dans un système constitué par 2 conducteurs de nature différente (cuivre et constantan - ou manganine et constantan, ou bien bismuth pur et bismuth + 5 % d'étain), soudés ensemble, quand l'une des soudures est à une température différente de celle de l'autre, est très largement utilisé pour la mesure du rayonnement naturel. On peut même affirmer que beaucoup des pyranomètres, en service actuellement, sont de ce type (modèles de KIPP-EPPLEY-VOLOCHINE-LINKE notamment). Ces appareils sont à surface réceptrice horizontale, et ils reçoivent donc, sur ce point, l'agrément de la plupart des spécialistes de la météorologie.
Ils peuvent être à
lecture instantanée, mais, la plupart du temps, ils sont
couplés à des enregistreurs continus, lesquels nécessitent
la fourniture d'un courant électrique auxiliaire d'alimentation.
Leur autonomie est donc pratiquement réduite à des
stations situées au voisinage d'un laboratoire de mesure,
alimenté en courant électrique.
En Amérique, GAST (l 930)
et SHIRLEY (l 932), deux précurseurs en matière de
photologie forestière, ont employé des thermocouples
pour des mesures de rayonnement, soit instantanées, soit
continues. Leur sensibilité va de 0,29 à 2,5µ environ,
ce qui est suffisant dans la pratique.
En Autriche, la station de recherches forestières située au voisinage d'Insbruck, utilise depuis une vingtaine d'années, le " Sternpyranometer " imaginé par LINKE (1934), utilisant le couple : cuivre / constantan. Les éléments sont disposés en étoile, sur une surface plane, ce qui lui donne un aspect caractéristique et explique sa dénomination. Sa force électromotrice est de 2,5 millivolts pour une intensité du rayonnement de une calorie par centimètre carré par minute. La précision de cet appareil, décrit récemment par DIRMHIRN à Vienne, est évidemment très satisfaisante. (Fig. 4).
FIG. 4 - Pyranomètre
en étoile - type LINKE (sans le dispositif
d'enregistrement) (Photo Météorologie Nationale).
En Allemagne, BAUMGARTNER (1956),
ayant entrepris une série d'études très complètes
sur la répartition verticale du rayonnement naturel dans
une jeune plantation d'épicéa, a utilisé un
appareil de ce genre (couple : nickel chrome / constantan) mis au
point à Munich par HOFMAN (1952) et amélioré
par POHL (1954).
En Belgique, GALOUX (1967), décrivant les installations très complètes qu'il a réalisées dans la forêt de Virelles-Blaimont, signale qu'il utilise, parallèlement aux pyranomètres de Bellani-Davos, déjà décrits, des piles thermoélectriques
de MOLL-GORZYNSKI, soit pour
la seule mesure du rayonnement incident à un niveau déterminé
du peuplement, soit pour la détermination du bilan de
rayonnement (2 appareils opposés dont la sensibilité
est portée à un intervalle de longueurs d'onde
de 0,3 à 60 ~). Il s'agit d'un montage en pyrradiobilanmètre,
décrit plus haut.
En somme, il s'agit là
d'un type d'appareil très satisfaisant, dont le principe
de fonctionnement est admis par les météorologistes,
mais qui ne peut fonctionner qu'à proximité d'un
laboratoire alimenté en courant électrique, auquel
il est relié pendant toute la durée des observations.
Ce qui localise, évidemment, ses possibilités
d'emploi.
Les appareils à
résistance électrique - Ils sont appelés,
d'une façon générale, " bolomètres
". Un fil métallique, de nickel, de platine, de
bismuth, ou, plus récemment, d'un corps semi-conducteur,
absorbant un rayonnement, même de très faible intensité,
s'échauffe, et voit alors sa résistance modifiée.
Cet élément est introduit dans un montage électrique
classique : le pont de WHEASTONE, et son échauffement
déséquilibre le système qui doit être
rééquilibré. Tel est le principe du fonctionnement
de ce type d'appareil, extrêmement sensible (on peut mesurer
le rayonnement émis par une étoile très
éloignée). Il a été très
peu utilisé, jusqu'à ce jour, en photologie forestière,
car son coût est élevé, et son emploi délicat.
Les appareils du type thermomètre - Cet appareil, déjà ancien (ARAGO-VIOLLE), basé sur la différence de température observée entre deux thermomètres, l'un blanc et l'autre noir, ne semble guère avoir été employé en forêt.