La photologie forestière
Les considérations, assez générales, qui précèdent,
font présumer que le rayonnement naturel, émis par le soleil et
par le ciel, doit agir de multiples façons sur les végétaux,
en général, et, spécialement sur les arbres, de toutes
dimensions, dont la culture est le but essentiel que poursuivent les sylviculteurs.
On a fait allusion précédemment à la photosynthèse ;
son rôle est extrêmement important puisque l'on admet, très
généralement, que cette fonction, caractéristique des végétaux
à chlorophylle, est à la base de la vie sur notre globe. Avec
l'eau et les matières minérales dissoutes dans le sol, avec le
gaz carbonique de l'air (où il existe dans une proportion moyenne très
faible voisine de 0,03 %), avec l'énergie prodiguée par le soleil,
les végétaux " se construisent " eux-mêmes à
partir de ces éléments très simples. On dit qu'ils sont
autotrophes. Le tonnage qu'ils produisent, a été, d'une façon
très approximative, évalué, pour l'ensemble de la terre,
à 80/100 milliards de tonnes par an. Bien entendu, les arbres ne font
pas exception à cette règle et le rayonnement, par son intensité,
par sa composition et par sa durée aussi, conditionne étroitement
leur croissance. La teneur en matières minérales du bois, extrait
périodiquement de la forêt, est en général très
faible (souvent moins de 1 % du poids sec); on peut donc dire, d'une façon
un peu simplifiée, que les arbres sont faits d'eau, d'air et de lumière.
On les considère, en écologie, comme de véritables "
producteurs " de matières organiques.
Mais, sur ceux-ci se développent, en une sorte de parasitisme compliqué (ce terme étant entendu dans un sens large), des consommateurs d'ordre varié - les lignivores (de nombreux insectes) - les granivores (des oiseaux surtout)
- les herbivores stricts qui consomment
les pousses et les feuillages (des insectes et de nombreux mammifères)
- des saprophytes aussi, qui se nourrissent des matières végétales
mortes, souvent tombées au sol (une microflore et une microfaune
variées et bien des champignons), etc... En outre, sur ces consommateurs
de 1° ordre, vivent des populations de carnivores, des consommateurs
de 2° ordre (oiseaux pour les insectes, prédateurs ailés
ou terrestres pour les herbivores, l'homme aussi qui, sylviculteur, mycologue
ou chasseur, intervient dans ce cycle complexe).
Le milieu forestier est caractérisé
par la concurrence, dans le sol et dans l'air, entre les divers hôtes
qui habitent cet ensemble. Du point de vue strictement sylvicole, on est
obligé de considérer, en particulier, la forte réduction
du rayonnement naturel reçu au niveau inférieur des forêts.
Or, là, prennent naissance, principalement par voie de semences,
de très nombreux jeunes arbres qui ne peuvent se développer
favorablement que si le sylviculteur leur vient en aide. Dès le milieu
du 16e siècle, on trouve des textes qui mentionnent, d'une
façon précise, quelles étaient alors les préoccupations
des forestiers de cette époque. En 1548, Louis Petit, " Maistre
des Eaux et Forêts du Val de Sainct Dizier ", prescrivait, par
exemple, " de ne pas laisser les chênes et les hêtres de
telle sorte que l'un ne fasse trop d'umbraige à l'autre et au nouveau
rejet ". Au 19e siècle, les sylviculteurs classaient
les espèces suivant qu'elles réclamaient, très tôt,
beaucoup de lumière (comme les chênes, rouvre et pédonculé,
ou les pins, sylvestre, noir d'Autriche ou maritime, qui étaient
considérés comme des " essences de lumière ")
- ou bien qu'elles supportaient, assez longtemps, un abri assez dense (c'était
le cas des sapins pectinés, ou bien des hêtres, dénommés
" essences d'ombre "). Mais ils n'étaient guère
allés plus loin, et ne s'étaient que très peu occupés
de chiffrer les
exigences de ces diverses espèces.
Du reste, ils ont été longtemps gênés par l'opinion de certains botanistes qui, avec les motifs les plus sérieux, et en se basant sur des expériences indiscutables, professaient " que la lumière ralentissait la croissance ". Les jeunes chênes, ou les jeunes hêtres, nés en lisière des peuplements forestiers, se courbent nettement vers la lumière (héliotropisme ou phototropisme). Si l'on tente de les maintenir verticaux par des tuteurs attachés à leurs tiges, cette influence phototropique est tellement forte qu'elle courbe, ou même qu'elle brise lesdits tuteurs. Cette lumière unilatérale, qui freine la croissance de certains arbres, n'intervient-elle pas quand elle est également répartie pour ralentir l'élongation ? Comment concilier ce besoin indéniable de l'ombre, qui caractérise plusieurs espèces ligneuses, si l'on considère leur croissance en longueur, par exemple, avec les exigences en lumière résultant des considérations sur le rôle utile du rayonnement naturel dans la nutrition ? Que réclament, en définitive en cette matière, les diverses sortes d'arbres forestiers ?
Mais le rayonnement naturel n'apporte
pas seulement la lumière ; il s'accompagne aussi de chaleur.
Or, si l'élévation modérée de la température
favorise certainement l'accomplissement de diverses fonctions physiologiques
des arbres (comme la photosynthèse, ou bien la croissance), elle
peut, dès qu'elle dépasse un optimum, variable avec les
espèces, venir freiner la nutrition en accélérant
le phénomène de la respiration, qui réutilise,
souvent d'une manière importante, les matières élaborées
par la photosynthèse. Trop élevée, elle dessèche
les feuillages, dont les stomates se ferment, stoppant tous les échanges
gazeux indispensables à la vie de l'arbre; elle peut même
brûler les jeunes tiges et ainsi les détruire d'une façon
définitive. Au niveau du sol, elle dessèche les couches
superficielles, accentuant le déséquilibre hydrique, et
diminue l'état hygrométrique de l'air. On conçoit
combien il est difficile de déterminer, à priori, la résultante
de ces diverses actions, positives ou négatives. Et ce n'est
pas tout : assez récemment, on a mis en évidence
un type de phénomène nouveau, " l'induction photopériodique
". Suivant la longueur des jours et des nuits, variant avec les
latitudes et les époques de l'année, certaines espèces
ligneuses manifestent des réactions profondes, affectant leur
germination, leur croissance, leur floraison et leur fructification
notamment et dont les effets peuvent se superposer et interférer
avec ceux, déjà fort compliqués, décrits
plus haut.
La croissance de l'arbre, constatée
pratiquement par les sylviculteurs, est donc conditionnée par
le rayonnement naturel d'une façon extrêmement complexe
et, en admettant que chacun des effets physiologiques partiels décrits
ait pu être caractérisé avec une grande précision,
une programmation et un recours à un ordinateur seraient les
seules solutions actuellement envisageables pour obtenir des indications
globales de valeur. Malheureusement, beaucoup de ces recherches sont
loin d'être poussées assez avant. Seule, l'étude
théorique de la photosynthèse est tentée de cette
façon. Quant au cerveau humain, il est incapable de faire, à
lui seul, une telle synthèse.
Fort heureusement il existe pour les
chercheurs une autre possibilité : celle d'interroger les
arbres eux-mêmes, et l'on verra, dans l'un des chapitres suivants,
comment, avec des expériences relativement simples, on peut déceler,
parmi les multiples effets du rayonnement naturel, quels sont, pratiquement,
les plus importants comment il faut les faire entrer en ligne de compte
en favorisant ceux qui sont les plus utiles, et en freinant ceux qui
paraissent les plus nuisibles, de façon à obtenir une
croissance rapide et équilibrée des diverses espèces
ligneuses, caractérisant une production forestière abondante
et de qualité.
Pour faciliter la lecture de ce petit ouvrage, on désignera la plupart du temps, les arbres dont il est fait mention par leurs noms usuels (en français).
Pour permettre leur détermination exacte, voici, pour certains d'entre eux, la correspondance avec les noms scientifiques (en latin) :
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Une étude photologique complète du milieu forestier devrait, normalement, s'étendre à la recherche de l'influence du rayonnement naturel, sur les espèces animales que l'on y rencontre habituellement. Il faut remarquer, d'abord, que cette influence est moins marquée chez les animaux que chez les végétaux, plus étroitement liés au microclimat de leur station. On a beaucoup étudié les phénomènes de la vision, chez diverses espèces animales, des mammifères aux mollusques et aux insectes. L'influence du régime photopériodique sur la reproduction a été l'objet d'expériences diverses : insectes (MARCOVITCH-1924, LEES-1959), oiseaux (ROWAN-1925) certains mammifères (BISONETTE-1932). Des recherches concernant l'influence des rayons ultraviolets (destruction des cellules, mutations génétiques) ont aussi été effectuées. On pourra consulter sur ces questions A. GIESE (1964) et Y. LE GRAND (1967) - (Voir la Bibliographie finale).