Article publié en 1971 dans la Revue Forestière Française, n°2, p 273 - (version .pdf - 191k)
Production potentielle de quelques types de futaies
par Louis ROUSSEL
(Les
chiffres, entre parenthèses dans le texte, renvoient à la bibliographie)
Dans
un peuplement forestier, situé sur un sol suffisamment approvisionné
en eau et en matières minérales dissoutes, avec une atmosphère
contenant une proportion normale de gaz carbonique, la production ligneuse
est conditionnée par l'intensité de la photosynthèse,
elle-même liée à la quantité d'énergie absorbée
par les appareils foliacés. Un bon indice de l'allure de cette absorption
est fourni par la relation :
E
(f) = E (o) - e-Kf, dont les termes ont été définis
dans une étude précédente de l'auteur (1), sur le même
objet. Il est à remarquer que si l'on considère l'ensemble des
feuillages, on doit remplacer l'indice foliaire partiel f, par l'indice foliaire
total F.
En
considérant alors plus spécialement le produit KF, figurant
en exposant :
K = coefficient d'extinction des radiations dans les cimes, déterminé par le facteur de transmission des feuillages, par leur plus ou moins grande inclinaison par rapport à l'horizontale (2) - et, également, par leur plus ou moins grande discontinuité (*),
F
= indice foliaire total, ou surface de l'ensemble des feuillages par unité
de surface du peuplement,
et
en remarquant que cet indice ne tient pas compte de la plus ou moins grande
densité des branchages, on peut cependant admettre que la forme même
du peuplement peut osciller entre deux modèles extrêmes.
1) Le premier modèle serait celui dans lequel le coefficient K est élevé, et l'indice foliaire F modéré. Ce modèle peut être représenté par des appareils foliacés situés dans un plan unique à peu près horizontal, et placés très près les uns des autres. Ce serait, en exagérant la signification du schéma, la futaie régulière idéale.
2)
Le second modèle serait celui dans lequel le coefficient K est faible
et l'indice foliaire F relativement grand. Ce modèle peut être
représenté par un peuplement dans lequel les feuillages sont
établis sur des plans horizontaux, assez discontinus et successifs.
Il s'agirait, en somme, d'une futaie étagée, ou bien, si l'on
veut, jardinée par pieds d'arbres, où les cimes de différentes
hauteurs seraient intimement mélangées.
(*) De même qu'à
l'échelle de l'atome, le coefficient d'extinction a est d'autant plus
élevé que la probabilité, pour un photon, de rencontrer
un noyau, ou un électron, est plus grande.
Figure
1 : Représentation schématique de 2 types de futaies,
réalisant une absorption identique d'énergie naturelle, pour
2 indices foliaires différents.
La
figure 1 représente, côte à côte, 2 modèles
théoriques de peuplements, réalisant une absorption identique
de l'énergie incidente, déduction faite de l'albédo,
soit 63/64, ou 98,44 %.
Dans
le premier modèle, les feuillages sont supposés horizontaux
et absolument opaques : en fait, les aiguilles des résineux laissent
passer extrêmement peu de lumière, et celle qui traverse les
feuilles est très appauvrie en rayons rouges et bleus, donc peu active
sur la photosynthèse. Ces feuillages sont disposés sur un plan
à peu près continu : la proportion des espaces libres représente
seulement 1/64 de la surface de base S.
Dans
le second modèle, les feuillages sont étalés sur 6 plans
successifs, d'une surface partielle égale, chaque fois, à la
moitié de la surface de base, et laissant donc passer sur le plan inférieur,
la moitié de l'énergie qui les atteint. À la sortie du
6e plan, l'énergie ne représente plus que 1/64 de
l'énergie incidente, comme dans le premier modèle.
Pour
reprendre le raisonnement suivi dans l'étude citée (1), au paragraphe
III, on peut imaginer d'abord que le coefficient d'utilisation de l'énergie,
par unité de surface des feuillages C, est le même dans tous
les cas. Si Q est la quantité de gaz carbonique assimilé par
unité de temps, et E(o) l'énergie incidente au niveau N(o),
on peut écrire les relations suivantes
1er modèle
(1 étage de feuillages) Q = 0,9844
- S - E(o) - C
2e modèle (6 étages de feuillages)
soit
Q = 0,9844 - S - E(o) - C
La
quantité de gaz carbonique assimilé est la même dans les
deux cas. Ainsi donc, et la conclusion n'est paradoxale qu'en apparence, un
peuplement, dans lequel l'indice foliaire F est de 3, n'a pas une assimilation
supérieure à celle d'un peuplement dans lequel cet indice n'est
que de 0,9844, si les coefficients d'extinction K sont tels que la quantité
d'énergie absorbée soit la même dans les deux cas. Ceci
démontre seulement que « l'énergie ne se multiplie pas
», quand on se contente d'augmenter le nombre des plans récepteurs,
sur une surface de base donnée.
Mais
ce résultat n'est obtenu qu'en partant d'une hypothèse simple
(et inexacte) : à savoir, la constance du coefficient d'utilisation
de l'énergie.
Serrant
maintenant la réalité d'un peu plus près, on peut faire
intervenir les variations du coefficient d'utilisation de l'énergie
(lumineuse), telles qu'elles ont été décrites au paragraphe
IV de l'étude déjà citée (1). On rappellera que,
pour le hêtre par exemple, si les feuillages situés au sommet
de la cime ont, sous 10.000 lux, un coefficient d'utilisation de 1, par définition,
sous 30.000 lux, les mêmes feuilles ont un coefficient d'utilisation
qui n'est plus que 0,43. À la base des cimes, les chiffres correspondants
deviennent respectivement 1,5 et 0,8. Quant aux feuilles d'ombre typiques,
elles ont, aux éclairements faibles, un coefficient d'utilisation encore
plus élevé et qui dépasse 2. Tout ceci concerne évidemment,
l'activité du gramme de matières sèches de feuilles (ou
d'aiguilles) et il faut connaître l'activité du décimètre
carré de surface supérieure de ces appareils foliacés.
Or, et ceci est intéressant, on retrouve le même genre de variations,
qu'il s'agisse des poids secs, ou bien des surfaces (3) et (4). Les figures
2 et 3 représentent ces nouvelles relations pour l'épicéa
et pour le hêtre. On peut y remarquer, en particulier, que si l'on part
de l'éclairement maximal, porté sur ces figures, et d'environ
30.000 lux, et que l'on se dirige vers les éclairements inférieurs,
le coefficient d'utilisation de la lumière, matérialisé
par la tangente des angles alpha-e ou alpha-h, est constamment croissant,
à condition de passer progressivement de la courbe relative aux feuillages
de lumière à la courbe relative aux feuillages d'ombre. Il est
bien évident du reste, que dans le milieu naturel, on rencontre tous
les intermédiaires entre ces deux types extrêmes d'appareils
foliacés.
On
reprendra donc un type de raisonnement analogue à celui indiqué
ci-dessus, mais en tenant compte des changements observés dans le coefficient
d'utilisation de la lumière, et en transposant les données d'éclairement
énergétique en celles d'éclairement lumineux, par utilisation
des correspondances établies au paragraphe II de l'étude de
référence (1).
Dans
le Nord-Est de la France, le niveau N(o) de la figure 1 recevra donc un éclairement
lumineux moyen L(o) de l'ordre de 27.000 lux, pour l'ensemble de l'année
et de 34.000 lux, pour la période de végétation la plus
active. Le niveau N(1) recevra : (1/2)1 de L(o), soit respectivement, 13.500
et 17,000 lux, etc.
Bien
entendu, ces données n'ont qu'une valeur indicative moyenne, et par
moments, on enregistrera 50.000 ou 60.000 lux, ou bien 10.000 à 15.000
lux seulement, au niveau supérieur du peuplement. L'éclairement
des étages inférieurs variera en conséquence. Mais on
ne considérera, dans les calculs qui vont suivre, que les valeurs moyennes
indiquées plus haut.
On
poursuivra en admettant que l'alimentation en eau et en matières minérales
est convenablement assurée, que la teneur de l'air en gaz carbonique
reste constante, et que les aiguilles des résineux (ici de l'épicéa
commun) « fonctionnent » pendant 9 mois dans une année
(3.500 heures), alors que les feuilles du hêtre ne « fonctionnent
» que pendant 5 mois (2.100 heures), à une température
voisine de l'optimum.
Les données relatives à la quantité de gaz carbonique assimilé par les aiguilles et par les feuilles seront relevées sur les figures 2 et 3 et, pour tenir compte de l'influence de la situation des feuillages dans les cimes, on passera progressivement des courbes relatives aux appareils foliacés de pleine lumière, aux courbes relatives aux appareils foliacés d'ombre. Comme ces données se rapportent à l'assimilation « nette » (déduction faite de la respiration des aiguilles et des feuilles pendant le jour), il conviendra de les réduire pour tenir compte des diverses autres pertes permanentes de gaz carbonique (respiration des aiguilles et des feuilles pendant la nuit respiration des troncs, des branches et des racines pendant l'ensemble de l'année). Cette réduction sera estimée à 20 % (coefficient de 0,8). Enfin, on passera de la quantité de gaz carbonique assimilé, toutes respirations déduites, au tonnage de matières sèches élaborées, en adoptant le coefficient arrondi de 0,6 (264 grammes de gaz carbonique, renfermant 72 grammes de carbone, sont indispensables pour « fabriquer » 162 grammes de polyholosides). De cette façon sera déterminée la « production potentielle » de chaque type de peuplement, si toutes les conditions ci-dessus sont remplies, et qui représentera l'ensemble des matières susceptibles d'être élaborées pendant une année complète : accroissement de l'ensemble de l'arbre, formation des appareils foliacés, « pertes » diverses de substances aux niveaux supérieurs et inférieurs (rameaux, racines, graines, excrétions diverses, etc.).
Voici,
présentés d'une façon simplifiée, quelques résultats
obtenus
EPICEA
PUR
1er
modèle (1 étage d'aiguilles)
P
= 0,9844 - 106 - 3.500 - 5,6 - 0,8 - 0,6 = 9,2 tonnes/ha/an
2e modèle (6 étages d'aiguilles)
P
= P(o) + P(1) + . . . . . + P(5) = 12,5 tonnes/ha/an
HETRE PUR
1er modèle (1 étage de feuilles)
P
= 0,9844 - 106 - 2.100 - 12,8 - 0,8 - 0,6 = 12,6 tonnes/ha/an
2e modèle (6 étages de feuilles)
P
= P(o) + P(1) + . . . . . + P(5) = 18,7 tonnes/ha/an
La
première conclusion de cette étude théorique est que
la production potentielle est liée à la quantité de lumière
retenue par les cimes (donc, sous réserve de quelques ajustements,
à la densité des peuplements) ; par exemple, dans le cas de
la futaie d'épicéa à un seul étage d'aiguilles,
si la lumière qui parvient au niveau du sol est de 25 %, par exemple,
de celle du plein découvert, la production potentielle tombe de 9,2
à 6,9 tonnes/ha/an. On retrouve là des notions assez généralement
admises.
La
seconde conclusion, nouvelle, est que l'absorption discrète et progressive
de l'énergie lumineuse est plus efficace, en ce qui concerne la production
potentielle, que l'absorption massive et localisée de la même
quantité d'énergie. Le modèle à 6 étages
correspond à un indice foliaire total de 3 (6 X S/2), ce qui semble
un peu faible, car, pour les forêts danoises par exemple, C. MÖLLER,
dans un très important travail (5) trouve des indices foliaires de
6,45, en moyenne, pour les hêtraies et de 1/2 de 13,1, soit 6,55, en
moyenne, pour les pessières.
Mais
ces derniers chiffres représentent la surface totale des feuilles ou
des aiguilles (simple face) quelle que soit leur inclinaison sur le plan horizontal
- alors qu'il n'en est pas de même pour les modèles théoriques
retenus ci-dessus.
Or,
on l'a dit plus haut, le modèle à 6 étages correspondrait,
approximativement, à une futaie étagée ou jardinée
par pieds d'arbres, dont la production, toutes autres conditions étant
égales d'ailleurs, serait ainsi supérieure à celle de
la futaie à un seul étage. On rejoindrait, dans ce cas les considérations
développées par les anciens sylviculteurs, qui attribuaient
à la futaie jardinée l'avantage de « présenter
un locataire à chaque étage ». En ce qui concerne les
seuls feuillages, cette particularité ne présentait pas, du
reste, un grand intérêt, à moins d'admettre, mais on ne
le savait pas, que le « locataire » est d'autant plus actif qu'il
habite plus près du rez-de-chaussée.
Au
surplus, si l'on veut bien y réfléchir un peu, même dans
une futaie régulière idéale, l'absorption de l'énergie
lumineuse s'opère sur quelques étages successifs, rassemblés
à la partie supérieure du peuplement, et il paraîtrait
plus conforme à la réalité de comparer un peuplement
à 6 étages, par exemple, censé représenter maintenant
une futaie régulière, à un autre peuplement, à
16 étages par exemple, se rapprochant davantage de la futaie jardinée
par pieds d'arbres. Dans ce cas, les différences de production potentielle
sont réduites, mais elles subsistent, ainsi qu'on peut le lire dans
les lignes qui suivent, pour l'épicéa par exemple :
Futaie à 6 étages = production potentielle de 12,5 tonnes/ha/an (F = 3),
Futaie
à 16 étages = production potentielle de 13,3 tonnes/ha/an (F
= 4).
Ceci,
pour une absorption d'énergie lumineuse très voisine.
On
peut se demander à quoi correspondent, pratiquement, les calculs assez
théoriques qui ont été effectués plus haut. Et
d'abord, sans distinguer la forme même du peuplement (régulier
ou jardiné), combien produisent, annuellement, dans les régions
tempérées, les forêts en général et les
pessières et les hêtraies, en particulier. Il faut reconnaître
que, selon les auteurs, on se trouve en présence de chiffres très
variés.
Il
y a près d'un siècle, les stations de recherches forestières
bavaroises avaient déterminé que les hêtraies, les pessières
et les pinèdes produisaient, en moyenne, chaque année, environ
6,5 tonnes de matières sèches par hectare (bois des tiges et
des branches, racines et souches, feuillages, etc.). Cependant, il semble
que ces évaluations ne tenaient pas compte des « pertes »
qui ont été détaillées plus haut.
A.
GALOUX (6), dans une récente étude, très détaillée,
consacrée aux échanges de matière et d'énergie
relatifs à la production primaire des forêts, cite les chiffres
avancés par J.D. OVINGTON et D.B. LAWRENCE, pour une chênaie
du sud-est des Etats-Unis : 8,2 tonnes de matières sèches produites
par hectare et par an (et 9,5 tonnes pour une culture de maïs fertilisée).
Les
résultats théoriques obtenus plus haut seraient donc supérieurs
à cette première série de données, ce qui n'a
rien d'étonnant, étant donné que ces résultats
correspondent à des conditions idéalement favorables, qui ne
sont atteintes que momentanément dans le milieu naturel, en année
normale.
Cette
remarque permet également de comprendre la différence assez
importante entre la production potentielle des futaies de hêtre et d'épicéa,
que le lecteur a certainement relevée. Selon W. LARCHER (1971), les
arbres à feuilles caduques (ici, le hêtre) sont, bien plus souvent
que les arbres à aiguilles persistantes (l'épicéa) éloignés,
dans le milieu naturel, des conditions optimales réalisées en
laboratoire. La même observation est faite, dans les régions
méridionales, pour le chêne pubescent et le chêne vert.
Cependant,
il convient de noter que des chiffres nettement plus élevés
ont été présentés lors du Colloque U.N.E.S.C.O.
1969 sur la productivité primaire des écosystèmes forestiers.
Voici selon A. GALOUX - que l'auteur remercie, à cette occasion, de
sa grande obligeance - les données retenues par P. DUVIGNEAUD et P.
AMBROES, pour l'Europe septentrionale - les chênaies de Belgique ont
une productivité primaire de 12-15 tonnes de matières sèches/ha/an,
et les hêtraies d'Allemagne et du Danemark, de 8-13,5 tonnes. À
l'âge de 76 ans, une pessière de Bavière produirait, sans
les racines, 15,5 tonnes de matières sèches/ha/an. Le maximum
serait atteint en U.R.S.S. pour un peuplement de trembles à 50 ans
(26 tonnes). Il est à noter, à ce propos, que la photosynthèse
maximale des espèces du genre « populus » peut être
deux fois plus élevée, par unité de surface de feuilles,
que celle des espèces du genre « fagus ».
Dans
le groupe des forêts européennes à rendement élevé,
on peut citer incontestablement les hêtraies et pessières danoises.
Ce fait est connu depuis plus de 25 années. En effet, C. MÖLLER
(5), a proposé des « esquisses » de spectres de production
qui, pour l'épicéa (entre 20 et 70 ans), vont de 12 à
18 tonnes de matières sèches/ha/an, et pour le hêtre (entre
20 et 120 ans), de 11 à 16 tonnes. Selon cet auteur, les « pertes
» auxquelles il a été fait allusion plus haut, représenteraient
de 4 à 6 tonnes de matières sèches par hectare et par
an. Les stations sont, ici, de très bonne qualité. Plus récemment,
J.N. BLACK, spécialiste britannique de ces questions, a retenu, d'après
MÜLLER et NIELSEN (1965), le chiffre de 13,5 tonnes de matières
sèches/ha/an pour la production des hêtraies danoises (et d'après
KIRA, OGAWA, YODA et OGINO - 1964, de 28,5 tonnes pour la production des forêts
humides tropicales ...).
En
somme, les calculs théoriques des 2 modèles effectués
plus haut donneraient des résultats un peu faibles, dans le cas de
l'épicéa, et un peu élevés dans le cas du hêtre,
par rapport à la seconde série de chiffres qui vient d'être
rapportée. Outre les causes signalées plus haut, il semble que
l'on doive attribuer en partie ces différences au fait que, si les
études de la photosynthèse nette de l'épicéa et
du hêtre ont été faites avec une grande précision
à l'institut Botanique d'Innsbruck, elles se rapportent, évidemment,
à des races se développant, dans les Alpes autrichiennes, à
une altitude voisine de 600 m. Les hêtres des plaines de l'Allemagne,
les épicéas du Danemark n'ont peut-être pas exactement
le même comportement : nier cette hypothèse reviendrait à
remettre en cause les principes mêmes de la génétique
forestière. À l'appui de cette considération, on notera
simplement que, au voisinage même d'Innsbruck, on relève une
activité photosynthétique différente, en conditions
climatiques identiques, pour l'épicéa d'altitude
modérée, et pour l'épicéa de haute altitude. En
tous cas, il subsiste des discordances que l'on doit, objectivement, souligner.
Si
l'on n'est pas encore tombé d'accord sur le tonnage produit, chaque
année, par un hectare de pessière ou de hêtraie, on comprend
combien il est illusoire de rechercher des données expérimentales,
comparant, par exemple, des futaies régulières et des futaies
jardinées, de chacune de ces deux espèces ligneuses, renfermant
un matériel sur pied identique, et situées dans des stations
semblables. Cependant, dans un domaine voisin de la production forestière,
celui de la production agricole, on peut trouver certains exemples qui tendent
à prouver que l'absorption, discrète et progressive de l'énergie
lumineuse est plus favorable à la nutrition carbonée, que l'absorption
de la même quantité d'énergie lumineuse, d'une façon
massive et localisée.
W.
LARCHER (4), cite les expériences de J.D. HESKETH et 0. BAKER (1967),
sur la production comparée de deux variétés de mais,
l'une à port assez étalé, l'autre à port plus
dressé. Pour une absorption identique d'énergie (100 cal/dm2/minute),
la première, ayant un indice foliaire modéré (1,8), donc
un coefficient d'extinction élevé, assimile 1 mg de gaz carbonique
par décimètre carré de culture et par minute. La seconde,
à indice foliaire plus élevé (4,4), mais à coefficient
d'extinction plus faible, assimile, dans les mêmes conditions 1,4 mg
de gaz carbonique. W. LARCHER explique ces différences de comportement
par le fait que la première variété a des feuilles qui
atteignent assez souvent l'éclairement de saturation, alors que la
seconde a une partie de ses feuilles qui sont en permanence dans un éclairement
plus bas, donc à meilleur rendement. C'est, sous une forme un peu différente,
ce qui a été exposé plus haut.
P, CHARTIER (2), dans la belle thèse qu'il vient de soutenir sur l'influence de divers facteurs, dont la lumière, sur la production agricole, propose de retenir aussi un autre type de phénomène, pour expliquer des résultats expérimentaux analogues à ceux qui viennent d'être exposés (pour le trèfle, par W.R. STERN et C.M. DONALD - 1962, et pour la betterave, par D.J. WATSON et KJ. WITTS 1959). Il s'agit de l'influence, négative sur le bilan nutritif carboné, de la respiration des feuillages inférieurs qui, dans certaines conditions, consommeraient plus de substances hydrocarbonées qu'ils n'en élaboreraient.
Figure
4 : Traits pleins : Relations complexes entre le coefficient d'extinction K. l'indice foliaire F et la production dans l'hypothèse de la "photosynthèse négative" des feuillages inférieurs (P. CHARTIER) Traits tiretés : Mêmes relations, sans l'hypothèse de la "photosynthèse négative". |
Dans
ce cas, les relations entre l'indice foliaire, le coefficient d'extinction
et la production deviennent plus complexes : pour chaque coefficient d'extinction,
il existe un indice foliaire optimal. Au-dessous, naturellement, mais aussi,
dans une certaine limite, au-dessus, la production diminuerait (voir traits
pleins sur la figure 4).
Il
est à noter que, selon P. CHARTIER, lui-même, ce type de relation
n'est pas général, et que l'on peut observer, au lieu des «
courbes en cloches, des courbes simplement asymptotiques d'un maximum »,
dans certains cas : - soit, par la disparition des feuilles à
« photosynthèse négative », c'est-à-dire
utilisant pour la respiration davantage de substances qu'elles n'en élaborent
par la photosynthèse - soit par une adaptation des feuilles, toujours
fortement ombragées, qui réduisent leur respiration de telle
sorte que leur photosynthèse soit toujours positive. C'est ce type
de réaction qui est indiqué, d'une façon approchée,
en traits tiretés sur la figure 4.
Les
forestiers qui sont habitués aux « tables de production »,
dans lesquelles, à côté de la qualité de la station,
la densité des peuplements figure en tant que facteur de production,
feront des rapprochements avec : - d'une part, les relations du type «
ASSMANN », où la production est une fonction croissante de la
densité des peuplements, jusqu'à un optimum, puis décroît
légèrement au-delà, quand on se rapproche du maximum
de densité. Ceci, en général, pour des peuplements d'un
âge égal ou inférieur à 60 ou 80 ans, - d'autre
part, les relations du type « WIEDEMANN-SCHOBER », où la
production est une fonction constamment croissante de la densité des
massifs, mais avec une allure asymptotique finale à la production maximale.
Comme
on le voit, les recherches de ce que l'on peut appeler la « bio-énergétique
végétale » ouvrent de nouvelles et intéressantes
perspectives pour les sylviculteurs, mais il reste de nombreux détails
à préciser, des anomalies à expliquer, et c'est sans
doute ce qui en constitue l'un des principaux attraits.
BIBLIOGRAPHIE
(1)
ROUSSEL (L.). - La notion de niveaux d'énergie
et son intérêt en sylviculture. Revue forestière
française, n° 2, 1970, pp. 131-138.
(2)
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de Doctorat d'Etat - I.N.R.A., Versailles, 1970, pp. 1-135 et annexes
(figures et tableaux).
(3)
PISEK (A.), WINKLER (E.). - Licht
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Sonnenblume. Planta, vol. 53,
1959, pp. 532-550.
(4)
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of trees. Photosynthética, t. 3, vol. 2, 1969, pp. 167-198.
(5)
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Stoffverlust und Stoffproduktion des Waldes. Kandryp und Wunsch's Bogtrykkeri,
1945, pp. 1-287.
(6) GALOUX
(A.). - Flux d'énergie et cycles de matières en tant que processus
écologiques. Association Nationale des professeurs de Biologie de
Belgique, 14e année, n° 4, 1968, pp. 167-202.