Article publié en 1963 dans les Annales Scientifiques de l'Université de Besançon, 2° série - Botanique, fasc. 19 - (version .pdf - 400k)
Effets obtenus en ombrageant la tige du Chêne pédonculé
par L. ROUSSEL
Dans un récent fascicule des Annales Scientifiques de l'Université
de Besançon, nous avons exposé comment, à partir d'observations
histométriques effectuées à l'Institut Botanique de cette
ville, nous avions été amené à émettre l'idée
que les écorces des chênes, rouvres et pédonculés,
protégeaient imparfaitement leurs assises génératrices
contre l'excès des rayons lumineux, et nous avons indiqué comment,
en vue de vérifier cette hypothèse, nous avions placé autour
des jeunes tiges de certains sujets de ces deux espèces, de petits manchons
opaques - ce qui avait entraîné une élongation nette des
plants ainsi traités (Bibl. 1 et 2).
Nous allons relater une expérience complémentaire effectuée,
dans la même direction, au cours de l'année 1963, sur des sujets
de chêne pédonculé (Quercus pedunculata), provenant
de la Forêt syndicale d'Aumont, en Champagne humide. Il est à noter
que cette région semble très favorable à la production
du chêne de qualité, qui y manifeste une croissance, en général,
vigoureuse.
Au début du mois de mai 1963, 30 semis naturels provenant de la glandée
abondante de l'automne 1961, et situés dans un taillis sous futaie fortement
éclairci dès la chute des glands (lumière relative pendant
l'été 1962 allant de 15 à 25 %), ont été
extraits et repiqués à un espacement d'environ 50 cm, dans un
sol de prairie qui venait d'être travaillé, sans l'apport d'aucun
engrais, et à proximité immédiate de leur forêt d'origine.
Quelques jours après ce repiquage, des manchons en poterie, d'un diamètre
intérieur de 15 cm et d'une hauteur voisine de 37 cm, ont été
placés sur 12 de ces chênes, les 18 autres restant dans leur état.
La station de repiquage était bien insolée, dans son ensemble.
La saison de végétation de l'année 1963 a été,
on le sait, copieusement arrosée.
Sur les 30 plants, 1 n'a pas repris et n'a pas été remplacé.
Les 29 autres ont feuillé au printemps 1963, mais, par la suite, ont
manifesté une croissance assez inégale en raison, probablement,
de leur repiquage tardif. À la fin du mois de septembre 1963, ces sujets
ont été mesurés au millimètre près pour les
longueurs et au dixième de millimètre près pour les diamètres.
Les chiffres obtenus ont été traités par la méthode
statistique (calcul du test " t " de Student Fisher). Les résultats
obtenus, à la suite de cette expérience, illustrés du reste
par les figures n° 1 et 2, peuvent être résumés ainsi
qu'il suit :
1° Dimensions totales des sujets à l'automne 1963
Non-protégés
|
Protégés
|
|
Longueur moyenne du collet au bourgeon terminal |
20,8 cm
|
32,1 cm
|
Diamètre moyen au collet |
4,8 mm
|
4,5 mm
|
La différence d'accroissement en longueur provoquée par la mise
en place des manchons de poterie est très significative (la probabilité
de non intervention du hasard est supérieure à 99 %). Certains
sujets protégés atteignent, du reste, une longueur spectaculaire
et voisine de 50 cm.
Le diamètre au collet semble plus fort dans le cas des sujets non protégés,
mais la différence constatée n'est pas, statistiquement, significative.
On peut cependant remarquer que les sujets non protégés tendent,
dès leur seconde année, vers une forme buissonnante, alors que
les sujets protégés ont, déjà un aspect élancé
et bien équilibre, caractérisant, dans des peuplements bien plus
âgés, les arbres de futaie. Ils sont cependant un peu grêles,
s'ils étaient destinés à vivre isolés.
Les questions de l'enracinement, du poids de matière fabriqué,
etc... n'ont pas été examinées ; les plants ne seront
extraits qu'à la fin de cette expérience qui se continue, actuellement.
2° Dimensions, à l'automne 1963, des segments de tiges formés en 1962
Non-protégés
|
Protégés
|
|
Longueur moyenne, du collet à l'extrémité de la pousse de l'année 1962 |
11,5 cm
|
12,2 cm
|
Il semble que la longueur du segment de l'année 1962 soit très
légèrement supérieure chez le sujet protégé
en 1963 ; mais la différence constatée n'est pas, statistiquement,
significative. Il faudrait de nouveaux essais portant sur un plus grand nombre
de sujets pour déceler s'il y a eu, ou non, en 1963 un gain de longueur
sur la pousse de l'année 1962.
3° Dimensions, à l'automne 1963, des segments de tiges formés en 1963
Non-protégés
|
Protégés
|
|
Longueur moyenne de la fin de la pousse de l'année 1962 au bourgeon terminal |
9,3 cm
|
19,9 cm
|
Diamètre moyen à la base de la pousse |
2,2 mm
|
2,7 mm
|
La différence d'accroissement en longueur des pousses de l'année 1963 résultant de l'adjonction des manchons de poterie est des plus significative (la probabilité de non intervention du hasard est voisine de 100 %). La différence de développement des diamètres des pousses protégées est également significative (la probabilité de non intervention du hasard est voisine de 95 %).
FIG. 1. - Au centre 3 Chênes émergeant de
leurs manchons de poterie (53 cm, - 49,5 cm et 42,5 cm). - À droite :
2 Chênes non protégés (17 cm et 27 cm). - À gauche
: 4 Chênes non protégés (20 cm - 19,5 cm - 9,5 cm et 28
cm). - Noter la prolongation de l'élongation des Chênes protégés
bien au-dessus du bord supérieur du manchon (A) et l'aspect buissonnant
des Chênes non protégés (B).
Il ressort de ces observations que, conformément du reste à ce
qui a été dit plus haut, les jeunes tiges des chênes isolés
ont, dès leur seconde année, une forme tendant vers celle du cône,
celles des jeunes chênes protégés se rapprochant du cylindre.
Il est intéressant de noter que l'élongation de certains des
chênes protégés ne s'arrête pas, quand le bourgeon
a atteint la pleine lumière, à la hauteur du bord supérieur
du manchon, mais se poursuit parfois encore sur une dizaine de centimètres
(fig. 1 ).
On peut tenter d'expliquer ce fait en admettant que les zones d'élongation des jeunes chênes sont, comme certains spécialistes l'ont constaté pour plusieurs végétaux, réparties tout au long de la pousse annuelle, et que ce sont les zones restées dans l'ombre qui sont responsables de cette poursuite de la croissance en longueur, alors que le bourgeon terminal est depuis longtemps en pleine lumière. On peut aussi faire intervenir un phénomène de " compensatory growth ", avantageant la partie supérieure de la jeune tige, située à proximité des appareils foliacés, au détriment des parties inférieures.
FIG. 2. - À gauche : Chêne protégé
devant son manchon de poterie retiré. Forme élancée et
un peu grêle pour un sujet qui devrait vivre isolé (53 cm). - À
droite, Chêne non protégé, plus court et plus trapu (17
cm).
Quoiqu'il en soit, les résultats de cette nouvelle expérience
viennent confirmer, d'une façon générale, les heureux effets
de l'ombragement des liges de chêne en cours de formation, alors que
les appareils foliacés restent en pleine lumière. Il convient
de remarquer toutefois que le dispositif adopté cette fois est plus simple
que celui retenu précédemment, et qui consistait en l'adjonction,
a courte périodicité, de petits tubes de caoutchouc autour des
jeunes tiges en élongation ; la protection est plus complète,
en ce sens qu'elle s'étend sur la majeure partie de la longueur de la
tige à 2 ans, et l'ombragement étant produit par un écran
plus éloigné, on se rapproche davantage des conditions d'abri
réciproque que se procurent les régénérations naturelles
de chênes.
Mais, ce dispositif est peut-être moins démonstratif, car on peut
invoquer non seulement la réduction de lumière à l'intérieur
des manchons de poterie, mais également une modification plus générale
du microclimat : écarts de température atténués,
état hygrométrique plus élevé, évaporation
réduite, absence de vent, etc... Enfin la protection a eu lieu seulement
pendant la seconde année de croissance des jeunes sujets.
En tout état de cause, l'influence de la lumière apparaît,
ici encore, comme considérable ; son utilité sur les feuillages,
le freinage qu'elle exerce sur l'élongation des jeunes tiges ne semblent
guère devoir être contestés, et les effets obtenus par les
moyens très simples employés sont comparables à ceux que
l'on ne décèle, pour d'autres facteurs, que grâce à
des dispositions souvent bien plus complexes.
BIBLIOGRAPHIE
1. ROUSSEL L. (1 962), - Les
Chênes et leurs écorces. Ann. Sci. Univ. Besançon,
2° série, Botanique, fasc. 18, p. 141-148.
2. TRONCHET A. et GRANDGIRARD A., (1958). - L'analyse
histométrique et son application à l'écologie forestière.
Ann. Sci. Univ. Besançon, 2° série, Botanique,
fasc. 8, p. 3-30.