Article publié en 1974 dans la Revue Forestière Française, n° 2, p 130 - (version .pdf - 43k)
Entropie, sylviculture et écologie
par Louis
ROUSSEL
Dans un système biologique complexe, tel
que se présente une forêt, les arbres ont, avec le milieu qui
les entoure, de continuels échanges de matière et d'énergie.
Deux catégories d'entre eux sont reliés à des phénomènes
particulièrement importants :
- la photosynthèse, dans laquelle l'énergie naturelle, captée
par les feuillages, est utilisée à la photolyse de l'eau absorbée
dans le sol par les racines, et à son union avec le gaz carbonique
de l'air, pénétrant dans les feuilles, pour, aboutir à
la synthèse de divers glucides.
- la respiration, qui
se déroule en sens inverse, par lente oxydation desdits glucides en
libérant, dans le milieu extérieur les substances d'origine,
et également une certaine quantité d'énergie. Ceci, dans
des conditions de température partiellement contrôlées
par la transpiration.
Il est donc normal que les physiologistes forestiers
aient été tentés d'appliquer au système biologique
"forêt" certains des principes qui ont fait leurs preuves
en thermodynamique.
L'une de ces applications donne lieu, actuellement,
à des discussions assez vives : c'est celle de la notion d'entropie,
venant en droite ligne, il ne faut pas l'oublier, des
principes de Carnot (1824), remaniés par Clausius (1854), et concernant
le fonctionnement des machines thermiques. On peut rappeler, en quelques mots,
que la variation de l'entropie (dS) d'un système est définie
par le rapport entre la quantité de chaleur (dQ) fournie à ce
système (ou retirée à celui-ci), et la température
absolue (T) dudit système :
dS = dQ / T
En thermodynamique, cette notion est classique,
et, à titre de simple exemple, on indiquera que si l'on fournit à
1 000 grammes d'eau la quantité de chaleur nécessaire pour élever
sa température de 10° C à 20° C (soit approximativement
10 000 calories), l'accroissement de son entropie (dS) est donnée par
la relation suivante, dans laquelle (m) est la masse d'eau, (Cs) sa chaleur
spécifique, et (T1) - (T0) les températures absolues finales
et initiales
dS = 2,3 . m . Cs . Log T1/ T0
ou
dS = 2,3 . 1000 . 1 . Log 293°/283°
= 34,36 cal / °K
Le calcul inverse peut être fait : si l'on
refroidit la même masse d'eau de 20° C à 10° C, son entropie
diminue de 34,36 cal / °K.
Comment convient-il d'interpréter, d'une
façon simple, la notion d'entropie ? On sait que Carnot avait fixé
le rendement maximal théorique d'une machine à vapeur, pour
une quantité quelconque de chaleur fournie à la chaudière,
à 1 - T0 / T1. Ce rendement était ainsi d'autant plus élevé
que le facteur T0 / T1 était plus faible donc que T0 (température
absolue du condenseur) était plus basse, et que T1 (température
absolue de la chaudière) était plus grande, La notion de "qualité"
de la chaleur était ainsi tout aussi importante que celle de "quantité"
de chaleur. C'est ce que Brunhes a exprimé d'une façon imagée
en faisant remarquer qu'une source thermale, qui apporte, par exemple, 90
000 Kcal par heure, des profondeurs de la terre à la surface du sol,
est incapable, cependant, de faire cuire un simple oeuf à la coque...
Étant donné le principe bien connu
de l'équivalence entre la chaleur et l'énergie, Ponte et Braillard
(1969), en exposant ces notions, sont ainsi conduits à définir
l'entropie comme l'expression de la "roture" de l'énergie.
À l'inverse, plus l'entropie diminue et plus l'énergie "s'anoblit".
Une autre définition de l'entropie a été
donnée par Boltzmann (1877) elle est basée sur la théorie
cinétique des gaz. On admet que les N molécules (environ 6.1023)
contenues dans une molécule-gramme d'un gaz, par exemple, sont, à
une température un peu éloignée du zéro absolu,
dans un état d'agitation thermique plus ou moins marquée, et
remplissent donc, ainsi, la totalité du récipient dans lequel
ce gaz est, éventuellement, renfermé. L'entropie de ce gaz est
alors définie comme proportionnelle au logarithme de la probabilité
thermodynamique de son état. Si (W) est la probabilité thermodynamique
de l'état d'un gaz, (S) son entropie, (K) une constante et (ln) le
logarithme naturel de (W), on a la relation :
S = K . ln . W
L'entropie ainsi calculée s'exprime par un nombre positif (si W est très grand), ou négatif (si W est très petit). Il est relativement facile d'approcher cette notion, d'une façon simplifiée, en calculant que la probabilité mathématique, pour qu'une seule molécule du gaz, dans le cas envisagé, soit, à un instant donné, dans une moitié déterminée du récipient qui le contient, est de 1/2. Si l'on envisage 2 molécules, la probabilité mathématique de leur présence simultanée dans une moitié du récipient est de 1/2 x 1/2 = 1/4. Si l'on considère une molécule-gramme de ce gaz, la probabilité pour que toutes ces molécules soient rassemblées, au même instant, dans la moitié du récipient, est de
Mais, pour que l'état thermodynamique
soit mieux uniformisé, il faut, aussi, que
la vitesse de toutes les molécules (en valeur et en direction) soit
identique. Cet état, on le conçoit, est hautement improbable,
et sa probabilité thermodynamique voisine de zéro. Son logarithme
(son entropie, au sens de Boltzmann) est négatif. À l'inverse,
un état dans lequel toutes les molécules du gaz envisagé
sont réparties, à un instant donné, dans l'ensemble du
récipient, avec des vitesses variables et de directions quelconques,
est extrêmement probable. Le logarithme de cette probabilité
(son entropie, au sens de Boltzmann) sera positif et élevé.
Or, et c'est ici que l'on passe des données
purement physiques à des considérations biologiques, les êtres
vivants ont, précisément, la faculté de rassembler, en
des constructions stables, des molécules qui, sans eux, seraient dans
un état d'agitation thermique tout à fait désordonné.
La vie pourrait donc d'une certaine façon,
apporter de l'entropie négative, de la "néguentropie",
dans cette sorte de chaos général et croissant des molécules
de l'Univers.
Sur ce point, du reste, commencent immédiatement
les discussions : que sont en réalité "le désordre"
et "l'ordre" ? Aucune définition absolue n'en a encore été
donnée. On préfère donc, actuellement, dire que le 1er
état est extrêmement probable, et que le 2e
état, est exceptionnel.
Pour en revenir aux végétaux autotrophes
(et les arbres appartiennent tous à cette catégorie) on peut
calculer la modification d'entropie qui résulte, soit de la photosynthèse,
soit de la respiration, et ce, d'une façon assez simple. En effet,
si, comme on l'a dit plus haut, en thermodynamique classique on se préoccupe
surtout de déterminer les variations d'entropie (augmentation ou diminution),
on dispose, depuis quelques années, de tables qui donnent, en valeur
absolue, divers éléments
(l'entropie en particulier) caractérisant diverses substances, dans
des conditions dites "standard" : pression d'une atmosphère
et température absolue de 298° K, soit 25°C. Cette température
correspond assez bien, du reste, à celle de fonctionnement optimal,
en été, de nombreux feuillages, pour la photosynthèse
et pour la respiration.
La relation classique décrivant le phénomène endothermique de la photosynthèse est la suivante :
Exprimée en unités entropiques,
dans les conditions "standard", cette relation devient, en arrondissant
les chiffres :
306 cal + 100 cal + ....... =
50 cal + 294 cal
La modification de l'entropie du système
vivant : un petit végétal placé dans une enceinte transparente
isotherme éclairée et synthétisant 180 grammes de substances
hydrocarbonées, est ainsi de 344 cal (état final) moins 406
cal (état initial) soit : - 62 cal. Cette modification est négative.
Il y a donc diminution de l'entropie,
et organisation d'éléments divers, épars, en matière
vivante cohérente. C'est
bien ce qui a été indiqué plus haut. Mais, comment cette
réduction d'entropie a-t-elle été possible ?
Pour certains biophysiciens, il s'agirait d'une
propriété spécifique de la matière vivante qui
agirait ainsi, à contre courant, en renversant la tendance générale
des molécules de l'Univers vers un état d'entropie maximale.
C'est la position de Schrödinger, par exemple, qui dans son célèbre
petit ouvrage "What is life ?" (traduit en français en 1950)
pense que cette faculté est caractéristique des molécules
d'ADN, constituant de tous les chromosomes.
Par contre, d'autres scientifiques (l'excellent
vulgarisateur Gamow, en particulier) estiment que les végétaux
à chlorophylle reçoivent du soleil, en même temps que
l'énergie libre de son rayonnement, une certaine quantité d'entropie
négative. Ces physiciens font remarquer que si la composition du
rayonnement solaire est celle d'un corps noir rayonnant à 6000°
K, son intensité, à
la surface de la terre, est près de 50 000 fois plus faible que celle
émise à la surface du soleil ; d'où ses propriétés
"néguentropiques".
Il est à noter que, selon ces conceptions,
la lumière artificielle (lampes ou tubes) doit posséder les
mêmes caractères, puisqu'elle agit parfaitement dans la photosynthèse...
Considérons maintenant la respiration
(et ceci concerne, non seulement les végétaux autotrophes, mais
l'ensemble des êtres vivants) ; elle peut être considérée
comme se déroulant en sens inverse de la réaction de la photosynthèse.
Sa traduction, en unités entropiques, aboutit, pour 180 grammes de
glucose oxydé, à une majoration de l'entropie de 62 calories.
On "voit" mieux, ainsi, ce qui se passe : les molécules de
gaz carbonique et d'eau, un moment fortement ralenties, ont repris leur agitation
thermique antérieure ; l'arbre fonctionne alors comme une machine thermique
ordinaire, et se conforme au principe très général défini
par Clausius : "l'entropie de l'Univers tend vers son maximum".
On peut cependant faire quelques remarques :
les êtres vivants n'ont pas, seuls, la possibilité de concentrer
en un lieu déterminé des substances inertes (des gaz, en particulier)
qui, sans eux, seraient caractérisés par un état entropique
élevé. Un morceau de chaux vive, par exemple, placé dans
une enceinte contenant de l'air, va absorber peu à peu de la vapeur
d'eau et du gaz carbonique, et se transformer en chaux éteinte, et
en carbonate de calcium. Cette chaux vive va agir sur ces gaz en réduisant,
peu à peu, leur libre circulation dans l'atmosphère, donc en
allant à l'encontre de leur probabilité thermodynamique maximale.
Certes, les états intermédiaires ne sont pas ceux réalisés
dans la photosynthèse, mais en définitive, la chaux vive aura
fixé, comme la feuille, l'eau et le gaz carbonique de l'air en une
construction stable.
Un autre exemple peut être trouvé
dans le phénomène de la cristallisation. Dans une solution de
sucre, par exemple, ou de sel marin, à une concentration suffisante,
l'introduction de quelques cristaux de ces corps va provoquer une fixation
des molécules, circulant auparavant très librement dans le liquide
solvant, et va donc aller également, à l'encontre de leur probabilité
thermodynamique maximale.
Or, ni la chaux vive, ni le cristal de sel marin,
ne sont considérés, par les biologistes, comme des organismes
vivants.
Comme on le voit, cette question est assez complexe.
Cependant divers auteurs ont déjà publié des résultats
relatifs aux changements d'entropie (à l'occasion des phénomènes
de photosynthèse, ou de respiration en particulier), dans des systèmes
vivants variés. On peut citer Prigogine et Wiame (1945), Pilet (1956),
Patten (1959), Galoux (1963) notamment.
Toutefois, lors d'un récent symposium
sur la thermodynamique des systèmes vivants qui s'est tenu a Leningrad,
en 1965, à l'Académie Forestière Kirov, sous la présidence
du Professeur Yatsenko-Khmelevsky, deux opinions fort différentes ont
été émises : le Professeur Syrnikov estimait que l'on
avait tort d'élargir la notion d'entropie, d'origine purement mathématique,
à des systèmes vivants, où ils perdent leur rigueur physique.
Par contre, le Professeur Soloviev soutenait que cet usage était parfaitement
licite, et que l'application de la notion d'entropie pouvait conduire à
des conclusions fructueuses dans l'analyse des systèmes vivants.
Cet auteur rejoignait ainsi les conclusions de
Spanner (1964), qui, dans un important ouvrage : "Introduction
to thermodynamics", proposait de reconnaître que les systèmes
vivants obéissent, comme les systèmes physiques, aux mêmes
lois, pour tout ce qui concerne leurs échanges de matière et
d'énergie. Ceci, tout en concédant que l'application de ces
principes était parfois "quite difficult"...
C'est probablement la seule attitude scientifique
à adopter, mais il faut reconnaître que, pour le moment, l'accord
de l'ensemble des biophysiciens est loin d'être réalisé.
On peut se demander aussi, à côté de ces discussions théoriques,
quel peut être l'intérêt pratique de ce genre de recherches
? Remarquons qu'il y a, sans doute, une relation entre la vitesse de l'accroissement
(ou de la diminution) de l'entropie d'un système vivant, et l'activité
physiologique de celui-ci, C'est ce que pense Florov (1969) qui montre que,
pour des peuplements de pin sylvestre, par exemple, le calcul de la vitesse
de production d'entropie dans la respiration, donne de bonnes indications
sur les caractéristiques bioclimatiques des diverses stations. Et Galoux
(1971) qui étudie avec une grande précision les divers aspects
des transferts d'énergie dans la chênaie mélangée
de Virelles-Blaimont, estime utile d'inclure les calculs relatifs aux variations
d'entropie, dans les éléments caractérisant, du point
de vue thermodynamique, les écosystèmes forestiers.
Ce genre d'études se développe
donc, mais il faudra sans doute attendre de nombreuses années avant
que ces notions nouvelles aient pu confirmer leur intérêt, et
deviennent d'une utilisation plus fréquente en sylviculture.
La notion d'entropie se retrouve, également,
dans un domaine en apparence très différent de la sylviculture,
celui de l'informatique bien que la première discipline commence à
faire appel à la seconde. Mais,
ce n'est pas exactement de cela qu'il s'agit. L'informatique est, on le sait,
définie comme l'ensemble des méthodes de traitement de l'information.
Or, comme le font remarquer Ponte et Braillard
(1969) : " L'incertitude étant l'état le plus probable
où se trouve un système, l'information est un facteur "
d'ordre" (sous réserve de ce qui a été dit plus
haut à ce sujet), qui combat cette incertitude." Il est
bien évident que plus le degré de précision d'une information
sera poussé, plus la probabilité pour qu'elle soit connue fortuitement
sera faible, On voit ici l'analogie avec la probabilité pour qu'un
gaz se trouve dans un état thermodynamique parfaitement déterminé.
D'où la conclusion des auteurs : " L'énergie employée
à créer de l'information est une énergie noble ; la connaissance
qu'elle engendre anoblit le système. L'information diminue donc
l'entropie, c'est de l'entropie négative, de la néguentropie."
Le langage des ordinateurs étant basé
sur une représentation binaire des mots et des chiffres, ceci conduit
à caractériser la qualité (élément subjectif)
d'une information, par le nombre de ses "bits" (binary digits), qui constitue un élément impersonnel
et permet de la définir. On pensera, par exemple, à la façon
dont on arrive à la détermination d'une plante, en utilisant
un tableau dichotomique : plus on avance dans ce tableau, et plus on acquiert
de précision dans la définition de son nom.
Dépassant le stade de la plante, on peut
considérer la réalisation d'un écosystème, forestier
par exemple, avec ses multiples constituants, étroitement imbriqués
les uns dans les autres, comme hautement improbable par le seul jeu de la
rencontre, fortuite, des individus qui le composent. Quand un tel état
existe, il se trouve, en quelque sorte, chargé d'une forte dose d'entropie
négative. C'est un nouvel exemple de l'introduction de la notion d'entropie
en écologie.
Ce point de vue n'est, cependant, pas universellement admis. Watt (1968), auteur d'un important "Traité d'écologie", utilise largement l'appareil mathématique et les méthodes de l'informatique, pour mieux cerner l'ensemble de ces problèmes, assurément fort complexes. Les notions d'information et d'entropie sont évoquées dans les parties de son ouvrage consacrées à la structure et à la stabilité des communautés ; en effet, Margalef (1957) a défini un "contenu d'information" (I), dans le cas d'un genre, par une relation du type suivant :
(N) représentant le nombre d'individus
recensés dans le genre, et (N1), (N2) ... (Nn)
les nombres d'individus recensés dans chacune des espèces représentées
dans ce genre. Or, cette relation était fortement inspirée d'une
théorie plus générale de Brillouin (1956) sur les ensembles
et sous-ensembles, dans laquelle l'entropie (ou désordre) était
exprimée sous la même forme que (I) dans la relation ci-dessus.
On peut, du reste, étendre la notion de "contenu d'information"
aux écosystèmes les plus variés.
Ainsi donc, selon ces auteurs, une sapinière
pure et bien régulière du Jura, qui renferme très peu
d'espèces végétales et animales, a un "contenu d'information"
faible, donc une entropie réduite. Son "ordre" apparent,
en partie artificiel du reste, s'accompagnerait d'un faible degré d'entropie.
Ce qui, à première vue, pourrait paraître correct. Par
contre, un taillis sous futaie mélangé de Champagne, riche en
espèces végétales et animales, aurait un "contenu
d'information" étendu, et, par voie de conséquences, un
degré d'entropie élevé.
Mais cette définition particulière
de l'entropie est contraire, évidemment, à celle qui résulte
des commentaires de Ponte et Braillard cités plus haut. Ceci tient,
sans doute, à ce que l'on confond ici, "l'ordre", notion
purement subjective, et la "richesse d'information" qui peut être
définie, en informatique, par le nombre de ses "bits", et
ce d'une façon impersonnelle. En se basant sur cette dernière
notion, c'est le taillis sous futaie qui aurait le degré d'entropie
le plus bas, et la sapinière le degré d'entropie le plus élevé.
On peut estimer que c'est ainsi que raisonne
Watt lorsque, d'une façon peut-être un peu ambiguë, il affirme
que "l'emploi de cette notion d'entropie (celle de Brillouin-Margalef),
en écologie, est malheureux". Par contre, la notion de "contenu
d'information" lui semble intéressante, comme bon indicatif du
"degré d'organisation" des écosystèmes.
Les quelques lignes qui précèdent,
que certains lecteurs jugeront sans doute fort imprécises, ou exagérément
condensées, montrent cependant l'importance de la notion d'entropie
qui, malgré certaines divergences d'opinion, transparaît, comme
en filigrane, dans de multiples aspects, en apparence fort éloignés,
de la pensée scientifique moderne.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
BORY (C.). - La thermodynamique. - Paris, P.U.F.,
1964. - 124 p. (Que sais-je ? n° 1119).
FLOROV (R.I.). - L'entropie du feuillage comme
index bioclimatique. Cahiers de l'Association française de biométéorologie,
1969, pp. 18-24.
GALOUX (A.). - Forêt, écosystème
et cybernétique. Bulletin de la Société royale forestière
de Belgique, n° 6, 1963, pp. 332-352.
GALOUX (A.). - Flux et transfert d'énergie
au niveau des écosystèmes forestiers. ln :
Productivité des écosystèmes forestiers, Actes du Colloque
de Bruxelles (1969). - 1971, pp. 21-40.
PILET (P.E.). - L'énergie végétale.,
- Paris, P.U.F., 1956. - 128 p. (Que sais-je ? n° 716).
PONTE (M.), BRAILLARD (P.). - L'informatique.
- Paris, Ed. du Seuil, 1969. - 190 p.
SPANNER (D.C.). - Introduction
to thermodynamics. - New York, London, Academic Press, 1964. - 278 p.
WATT (K.E.F.). - Ecology and
resource management. - New York, London, Mac Graw Hill Book Company, 1968.
- 450 p.
YATSENKO-KHMELEVSKY (A.A.) Ed. - Thermodynamics of living systems, Symposium held at Leningrad Kirov order Lenin forest academy, 27 april 1965. - Leningrad, Siège, 1966. - 75 p. (texte en russe, résumé anglais).
Article publié en 1978 dans la Revue Forestière Française, n° 1, p 18
par Louis ROUSSEL
L'attribution, en 1977, d'un Prix Nobel au professeur Ilya Prigogine, pour ses travaux sur la thermodynamique des systèmes vivants, réactualise en quelque sorte les recherches faites par le professeur A. Galoux (Station de recherches forestières de Belgique) sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers, envisagés également du point de vue thermodynamique. En effet, cet auteur avait travaillé en liaison avec le "Groupe Prigogine" de la Faculté de Bruxelles pour rédiger son étude, présentée sous une forme très mathématique et assez difficile à interpréter pour les "non initiés".
C'est un essai d'analyse plus "littéraire"
de cette étude qui est présenté ici ; la rédaction
en a été approuvée par le professeur Galoux qui l'a considérée
comme conforme à sa pensée et à la démarche de
son esprit. En complément sont mentionnées quelques publications
sur le même sujet dont l'auteur principal est le professeur Florov (Bulgarie).
La notion d'entropie peut aussi être utilisée,
en écologie, pour analyser les processus énergétiques
qui aboutissent à la production nette des écosystèmes
(ou accroissement annuel de leur biomasse). C'est A. Galoux qui, parmi les
écologistes et forestiers de langue française, semble avoir
élaboré l'une des études les plus poussées dans
cette direction, en utilisant, partiellement du reste, les travaux purement
théoriques de I. Prigogine sur la thermodynamique des processus irréversibles.
En effet, si une bonne partie de la thermodynamique
classique envisage surtout le cas des processus "réversibles"
(en comprimant un gaz, on produit de la chaleur ; une fois cette chaleur dissipée,
si on réchauffe à nouveau ce gaz, on retrouve à peu près
le travail dépensé pour cette compression), la thermodynamique
des processus "irréversibles", actuellement en plein développement,
étudie des phénomènes plus complexes qui ne se déroulent
que dans un seul sens (dans un calorimètre de Joule, par exemple, le
travail mécanique se transforme facilement en chaleur, mais le processus
inverse n'est pas réalisable). Or, les systèmes vivants obéissent,
en général, aux règles de cette thermodynamique spéciale.
Voici donc, exposée d'une façon
schématique, la démonstration très originale faite par
A. Galoux, dans le cas de l'écosystème forestier que constitue
la chênaie-hêtraie à charme de Virelles-Blaimont, dans
les Ardennes belges, et où des mesures très précises
ont été effectuées ces dernières années,
tant en ce qui concerne les échanges de matière que les échanges
d'énergie qui s'y déroulent.
Un écosystème forestier peut être
assimilé, du point de vue de la thermodynamique,
à un l° système "ouvert" (c'est-à-dire
pouvant échanger, avec le milieu extérieur, de la matière
et de l'énergie) et constitué par le matériel vivant
limité par ses membranes extérieures poreuses. Ce l° système
est inclus dans un II° système, également "ouvert"
(l'air et le sol). Les I° et II° systèmes, ainsi définis,
constituent, ensemble, un nouveau système, "fermé"
(qui ne peut échanger que de l'énergie avec l'espace), limité
en théorie par la haute atmosphère, mais que pour des raisons
expérimentales pratiques (nécessité d'installer et de
relever des appareils de mesure), A. Galoux arrête arbitrairement à
un plan situé un peu au-dessus de la surface supérieure du peuplement
forestier.
Le système "fermé" (le
peuplement forestier et son environnement naturel terrestre) reçoit,
du soleil, à sa limite supérieure, de l'énergie "noble"
(radiations de 300 à 3 000 nm de longueur d'onde, le symbole nm
désignant le millième de micron). Cette énergie
est partiellement réfléchie, et le surplus pénètre
dans l'écosystème, en se dégradant en énergie
chimique et calorifique. Il en résulte un réchauffement de l'écosystème
qui rayonne, à son tour, vers l'espace ; mais l'énergie de ces
radiations est plus "roturière" (leur longueur d'onde va
de 3 000 à 10000 nm environ). Par ailleurs, des radiations de grande
longueur d'onde également, en provenance de l'atmosphère terrestre,
pénètrent aussi dans l'écosystème. Comme, chaque année
vers la même époque (au printemps et à l'automne), l'écosystème
retrouve, à peu près, les mêmes caractéristiques
thermiques, le flux total des photons absorbés pendant la période
de végétation (symbole = per) est équivalent, du point de vue thermique,
au flux total des photons réémis pendant la même période,
auxquels s'ajoutent les transports de chaleur par convection (air échauffé
dont l'agitation thermique est augmentée) et ceux résultant
des phénomènes d'évapotranspiration, les deux sortant
du système fermé (I + II) pour abandonner leur chaleur dans
l'atmosphère qui rayonne également vers l'espace. En fait, les
mesures de longue durée qui ont été effectuées
à Virelles-Blaimont montrent que le bilan thermique est à peu
près nul : en gros, les rayons de courte longueur d'onde apportent
à l'écosystème environ 47 000 cal/cm2/per.
Les rayons de grande longueur d'onde évacuent 21 000 cal/cm2/
per et les phénomènes de convection et d'évapotranspiration,
environ 26000 cal/cm2/ per. La photosynthèse proprement
dite n'en utilise que 5 à 600.
Mais, si le bilan thermique est à peu
près nul (compte tenu des mesures précises effectuées
et des évaluations complémentaires, sérieusement étayées),
il n'en est pas de même du "bilan entropique" et ceci se comprend
facilement : l'entropie, d'une façon générale, étant
définie comme le rapport entre une quantité de chaleur (ou d'énergie)
et une température absolue, le rayonnement qui pénètre
dans l'écosystème, provenant d'une source d'énergie dont
la température est élevée (6000 °K pour le soleil),
possède une entropie relativement faible. Par contre, le rayonnement
réémis par l'écosystème (dont la température
absolue est en général inférieure à 300 °K)
a une entropie nettement plus élevée. Le système "fermé"
(I + II) émet donc vers l'espace plus d'entropie qu'il n'en reçoit
et, selon les conventions de signes, le bilan entropique de l'écosystème
vers l'espace (le flux entropique) est négatif. C'est ce déséquilibre
qui traduit la dégradation de l'énergie solaire en énergie
chimique, notamment, laquelle assure le fonctionnement de l'écosystème.
Pour procéder à un examen plus
détaillé du bilan entropique complet entre les systèmes
I, II, et l'espace, il faut faire appel à la notion "d'état
stationnaire de non-équilibre" ou état des systèmes
qui échangent, en permanence, de la matière ou de l'énergie
ou les deux à la fois. Cet état est celui des systèmes
vivants, en général, et quand ces échanges continus cessent,
la vie s'arrête. A. Galoux cite, comme bon exemple d'état stationnaire,
l'absorption de l'eau par les racines des arbres du système I dans
le sol du système II, et le rejet de cette même eau, par les
stomates des feuilles du système I, dans l'air du système II, tout en maintenant un certain
stock d'eau dans le système I. Si les échanges s'arrêtent,
la mort des feuillages survient assez rapidement par fanaison. La relation
simple qui permet de calculer les éléments des échanges
d'entropie, dans le cas envisagé, s'énonce ainsi : de
S + di S = 0.
de S = flux entropique qui se produit
entre les systèmes I + II, considérés ensemble, et l'espace.
di S = production interne d'entropie,
accompagnant divers processus se déroulant dans les systèmes
I et II, notamment les transferts de chaleur, d'eau, de matières minérales,
les réactions chimiques endothermiques comme la photosynthèse,
ou exothermiques comme la respiration, etc.
Pour que la relation ci-dessus soit satisfaite,
il faut que la production interne d'entropie soit égale et de signe
contraire au flux entropique vers l'espace. Cette production doit donc être
positive.
Selon les calculs effectués par A. Galoux,
dans le cas envisagé, de S = -3,55 cal °K/cm2/per
et di S = + 3,55 cal °K/cm2/ per. Une étude
minutieuse des divers postes intervenant dans ce bilan conduit à évaluer
l'accroissement d'entropie caractérisant la production nette de
l'écosystème (PNE =
photosynthèse nette moins
respiration des organismes hétérotrophes, surtout du sol) à
2,09 cal °K/cm2/ per. La température observée
des feuillages, pendant cette période, étant de 288 °K,
l'énergie affectée à la PNE est de 2,09 x 288 = 603 cal/cm2/per.
On calcule simplement la PNE en considérant que la synthèse
de 180 g de substances hydrocarbonées nécessite 674 Kcal. On
obtient ainsi le chiffre de 0,16 g/cm2/per, soit environ 16 tonnes
par hectare et par an. Si l'on veut obtenir la production primaire
nette (soit la production brute des végétaux
autotrophes, moins leur propre respiration), il faut ajouter à 603
cal/cm2/per le chiffre représentant la respiration des organismes
hétérotrophes (119 cal/cm2/ per). On évalue
ainsi la production primaire nette à 18 tonnes environ par hectare
et par an. Ce chiffre est voisin de celui obtenu par une méthode directe
(évaluation pondérale, au début et à la fin d'une
période de végétation) et cette concordance montre la
valeur de la méthode très originale de A. Galoux. Il est évident,
cependant, que les calculs doivent être très précis car
à une variation de la production d'entropie de 1 cal °K/cm2/per
correspond une variation de la production de l'écosystème de
8 tonnes par hectare et par an. Par ailleurs, à côté de
cette production générale d'entropie réalisée
par l'écosystème (énergie solaire - énergie chimique),
il existe bien, dans la photosynthèse, une réduction locale
d'entropie, effectuée par les feuilles, et correspondant aux réarrangements
moléculaires (62 cal °K pour 180 g de matières hydrocarbonées
synthétisées, soit, pour reprendre la notation générale
adoptée, - 0,06 cal °K/cm2/per). C'est cette faible
mais irremplaçable diminution d'entropie qui caractérise l'activité
organisatrice de ce système vivant que constitue une forêt.
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