Dans tout ce qui précède, on s'est efforcé de
caractériser le microclimat des diverses stations sylvestres, par
la valeur du rayonnement relatif reçu au sol. On a bien souligné que,
dans une région déterminée, les variations du rayonnement
relatif s'accompagnent d'un changement corrélatif, pour de nombreux
autres facteurs, physiques et chimiques, dont l'importance est reconnue pour
le bon développement des arbres forestiers. Mais, les variations du
rayonnement relatif semblant, dans le sous-bois, être les plus efficaces,
et caractérisant les changements dans la densité du couvert,
on a adopté cette notion comme base de référence principale.
Ayant, d'autre part, examiné les réactions des jeunes espèces ligneuses aux modifications de ce rayonnement relatif (ainsi que des autres facteurs physiques qui varient avec lui), il est possible, dans un type de station déterminé, et avec quelques-unes des espèces qui ont été expérimentées, de tirer certaines conclusions sylvicoles pratiques, qui, on le pense, seront valables pour des cas analogues.
Régénération naturelle du sapin pectiné
et de l'épicéa commun
en altitude, sur sols de rendzine
L'installation des régénérations naturelles,
à partir des graines fournies périodiquement par les semenciers
(souvent tous les 2 ans pour le sapin pectiné, et tous les 4 ans pour
l'épicéa commun), ne semble pas présenter de grandes difficultés.
Cependant, il faut tenir compte des remarques suivantes :
À l'ombre dense habituelle des futaies de ces régions (de 2,3 à 4 % de Rr), la germination des graines de ces deux espèces se produit aussi bien que dans les larges clairières. Mais immédiatement, on observe une différence entre le comportement du sapin, qui conserve, même à l'ombre, une radicelle longue, et celui de l'épicéa qui, dans les mêmes conditions, se développe en formant un axe hypocotylé long, et une radicelle courte. Dans les printemps
et les étés humides,
ces deux espèces se maintiendront et leurs racines, en s'enfonçant,
les garantiront d'un dépérissement par déséquilibre
entre l'absorption de l'eau et la transpiration. Mais, si cette partie
de l'année est sèche, les semis d'épicéas
risquent de disparaître, surtout sous des peuplements plus âgés
de cette espèce, à racines en général superficielles
(DUCHAUFOUR - 1959). Il semble donc qu'il y ait intérêt
à pratiquer, pour l'épicéa, l'ancienne " coupe
d'ensemencement ", avant la chute des graines, et apportant environ
10% de Rr au sol (par exemple : trouées circulaires d'un
diamètre égal à la hauteur des arbres sur pied
si le peuplement primitif est très dense - ou densité
des tiges de l'ordre de 250 à 300 par hectare). Il est à
remarquer que cette seule considération suffit à expliquer
le curieux phénomène " d'alternance " entre
l'épicéa et le sapin, tout au moins sur les sols parfois
superficiels du Jura, et qui a été statistiquement établi
(MILAN SIMAK - 1951); en effet, le sapin pectiné, dont la racine
est en général plus longue, même à l'ombre
dense, souffre moins de la concurrence des racines superficielles des
grands épicéas, et s'installe avec moins de difficultés
sous cette espèce (en fait, un Rr de 5%. suffit à
le maintenir en vie dans sa jeunesse). On a pensé également
à des phénomènes de " télétoxie
" entre les racines d'épicéa et de sapin, ou à
des différences, selon la nature des espèces, dans l'activité
biologique des sols (SCHAEFFER et MOREAU, 1958-1959), pour expliquer
ce fait, qui est, du reste à la base d'une méthode originale
de régénération naturelle de l'épicéa,
sous l'épicéa, en passant par le stade sapin (BOURGEOIS).
Il convient de remarquer enfin que
l'apport, dès la germination, du Rr indiqué (10
% pour l'épicéa et 5 % pour le sapin) est une condition
nécessaire, mais non pas suffisante, pour réussir
une bonne régénération naturelle, et que certains
autres éléments interviennent, dont la nature n'est pas
encore exactement précisée.
Par la suite, et une fois les sujets
installés, on doit, progressivement, et jusqu'à l'âge
de 15 à 20 ans, apporter un Rr de l'ordre de 50 %
pour l'épicéa et de 25 %. pour le sapin. C'est le rayonnement
qui règne habituellement, dans le premier cas dans de très
grandes trouées seulement, dans le second cas, dans de grandes
trouées, pratiquées dans des peuplements en général
très denses de ces espèces dans leur habitat naturel (Fig.
33).
On n'a pas intérêt du reste, pour cette période de 15 à 20 ans, qui couvre pratiquement le temps pendant lequel les peuplements sont maintenus en régénération, à augmenter trop le découvert. On risque, pour le sapin, des dégâts dus aux gelées printanières, et, de toutes façons, on enlève des arbres de futaie, de grosses dimensions, mais à cimes réduites et qui continuent à apporter un accroissement non négligeable à celui de l'ensemble des parcelles en cours de régénération, sans gêner le développement des jeunes sujets.
Par la suite, on l'a vu, la nécessité pour avoir une production élevée, et d'une qualité supérieure (les résineux en peuplements serrés ont des accroissements étroits, appréciés des utilisateurs) oriente le traitement vers des massifs denses, et visités par des éclaircies fréquentes, mais légères, qui maintiennent les peuplements au voisinage de leur densité maximale. Ceci sous réserve, bien entendu, que l'alimentation en eau du sol soit suffisante - condition souvent réalisée dans les régions montagneuses où se développent ce genre de forêts (1,20 m à 1,50 m et même à 1,80 m de précipitations par an).