CHAPITRE III
Effets physiologiques
partiels du rayonnement naturel sur les végétaux
Les arbres, comme tous les végétaux à chlorophylle
du reste, sont étroitement dépendants du rayonnement naturel
qu'ils reçoivent. Mais cette action, en général bénéfique,
n'est pas la seule (voir page
16) et de multiples autres effets sont aussi observés.
On examinera successivement comment les diverses fonctions physiologiques de ces végétaux sont affectées par les modifications, en quantité, en qualité et en durée, du rayonnement sous lequel ils sont appelés à se développer. On doit remarquer d'abord, que, pour que les études rapportées aient une signification certaine, il est nécessaire, la plupart du temps, de se placer dans des conditions précises de laboratoire. Mais on sait très bien, actuellement, reproduire artificiellement tel ou tel type de rayonnement naturel (durée, intensité et composition du rayonnement, température, etc...), de telle sorte que l'on peut, raisonnablement, penser que les phénomènes observés dans une serre conditionnée, par exemple, se déroulent effectivement de la même façon dans le milieu naturel, lorsque les mêmes conditions sont réalisées.
Effet photopériodique et rythmes biologiques
Le régime photopériodique, ou mode de distribution, dans le temps,
de la durée du jour et de la nuit, de la lumière et de l'obscurité,
exerce, sans doute, un rôle important pour déclencher divers phénomènes
de la vie des végétaux en général : germination,
croissance, floraison et fructification, en particulier. Ce fait, pressenti
par divers chercheurs, GASPARl (1861), et TOURNOIS (1911-1914) notamment,
a été clairement mis en évidence par GARNER & ALLARD
(1920) par leurs expériences très originales sur la mise à
fleur de diverses variétés de tabac américain. Cette idée
fut très controversée, au début, bien que BÜNNIG (1920)
en Allemagne eût observé certains aspects analogues de ce phénomène.
CHOUARD, en France, a effectué de très nombreux travaux qui ont
permis de développer considérablement ces notions. Cet auteur
classe, par exemple, en France, les végétaux du point de vue de
leur floraison, en :
HÉMÉROPÉRIODIQUES : qui fleurissent
en jour long (type capucine)
NYCTOPÉRIODIQUES : qui fleurissent en jours courts (type
primevère)
APHOTOPÉRIODIQUES : indifférents à la longueur
du jour (type pissenlit)
AMPHIPÉRIODIQUES : qui demandent un ensemble de conditions
plus strictes (jours longs + jours courts, par exemple - type topinambour)
Au fur et à mesure que ces études se sont développées
(MATHON - STROUN) la classification ci-dessus a dû être nuancée.
Les effets photopériodiques sont obtenus avec des éclairements
très faibles (souvent de 5 à 10 lux) et sont indépendants
des phénomènes de la nutrition carbonée, décelables
la plupart du temps pour des éclairements nettement plus élevés.
L'action de la qualité de la lumière fut également étudiée,
par FLINT & ALLISTER (1935) notamment ; ces chercheurs trouvèrent
que la germination de certaines graines était stimulée par les
radiations rouge-clair, et ralentie ou supprimée par les radiations rouge-sombre.
MOHR (1956), TOOLE (1957) obtinrent des résultats analogues.
En ce qui concerne le développement des végétaux ligneux,
NITSCH a effectué, depuis l'année 1950, de très nombreuses
expériences, notamment au Phytotron de Gif-sur-Yvette, et portant sur
divers jeunes arbres résineux et feuillus. La lumière varie en
durée et en qualité. Des résultats, parfois tout à
fait spectaculaires, sont obtenus, en serre conditionnée, sur la vitesse
de croissance et la morphologie des sujets, strictement dépendantes des
conditions photopériodiques artificiellement imposées. Cependant,
certaines espèces sont peu sensibles à ce traitement. WAREING
(1950-1951) a étudié de ce point de vue le pin sylvestre, et le
hêtre également.
BORTWICKS & HENDRICKS, avec leurs collaborateurs se sont appliqués,
dès l'année 1961, à élaborer une théorie
explicative de l'effet photopériodique, actuellement assez généralement
admise, et qui peut être résumée comme suit :
Dans tous les végétaux existerait, à dose variable selon les espèces, mais, en général très faible, une substance instable (qui a été, du reste, isolée déjà dans certaines plantes) appelée " phytochrome ", proche d'une substance chimiquement connue: l'allophycocyane, et qui oscillerait entre deux formes: " le phytochrome 660 ", forme réduite, et le " phytochrome 730 ", forme oxydée. La lumière rouge clair (lambda = 0,66µ ou 660 nm) et la lumière rouge sombre (lambda = 0,73 µ ou 730 nm), ainsi que l'obscurité, agiraient schématiquement de la façon suivante :
C'est de la proportion, de ces deux substances, variable avec la durée
du jour et de la nuit, ainsi qu'avec l'espèce et la variété
végétale en cause, que résulterait, à chaque époque
de l'année, le contrôle central, absolument indépendant
de la photosynthèse, des processus les plus variées : germinations,
puis croissance, puis floraison, puis fructification. Un essai de représentation
graphique de l'induction photopériodique de la floraison est donné
à la figure 19.
Selon cette théorie, le mode de distribution de la lumière naturelle (photopériode) jouerait un rôle essentiel dans le déroulement des diverses phases de la vie des végétaux.
FIG. 19 - Essai d'interprétation graphique de la théorie
de BORTHWICK et HENDRICKS. (Action de la photopériode sur la
floraison).
On peut remarquer, du reste, qu'à côté du rythme annuel de la durée dans la distribution du rayonnement naturel, intervient également un rythme dans l'intensité du même rayonnement, et que, dans certains cas (taillis feuillus par exemple) ces deux éléments peuvent se trouver dissociés. À côté de la seule photopériode, il conviendrait peut-être de faire place à un autre phénomène, la " photomodulation ".
Cependant, dans une voie tout à
fait différente, d'autres chercheurs mettaient récemment en
évidence l'importance des rythmes biologiques internes, indépendants
en principe des facteurs externes imposés par le milieu. Des
effets variés étaient signalés, en ce qui concerne
l'allure de certains phénomènes importants de la vie des animaux
et des végétaux. Il a été démontré
il y a peu de temps, par exemple, que de jeunes chênes européens,
tout aussi bien que de petits arbres tropicaux, présentaient des
rythmes de croissance absolument indépendants des variations des
conditions du milieu extérieur, et de la photopériode en particulier
(CHAMPAGNAT - SCARRONE par exemple). De nombreuses observations analogues
ont été faites, souvent du reste sur des animaux, et l'on
en dénombre actuellement plusieurs centaines.
Comment concilier ces deux séries
d'observations, qui, d'une certaine façon, semblent s'opposer ? BAILLAUD,
spécialiste français de l'étude de ces phénomènes,
parle parfois " d'horloges biologiques ", obéissant à
un rythme interne ou endogène propre, mais qui pourraient périodiquement
être " remises à l'heure " par les rythmes exogènes
caractérisant le milieu. Ces difficultés sont, en tous cas,
loin d'être entièrement résolues, et, dans son récent
et important Traité de Photophysiologie, A. GIESE (1964), en exposant
ces deux opinions différentes, évite soigneusement de prendre
position.
De toutes façons, il convient de remarquer que, si l'effet photopériodique peut expliquer pourquoi telle ou telle espèce d'arbre, parce qu'elle est " accordée " au milieu, s'est développée dans telle ou telle région du globe, et ainsi guider le sylviculteur dans le choix des espèces a introduire, ces considérations ne semblent pas, tout au moins pour le moment, susceptibles de grandes applications pratiques à l'échelle de la forêt française. Car on ne voit pas très bien comment (sauf dans des pépinières de surface réduite), il serait possible, d'une façon rentable, de modifier le régime photopériodique d'une région forestière étendue, ou même d'un simple massif boisé.