Article publié en 1960 dans la Revue forestière française, n° 12, p769 - (version .pdf - 453 k)
Le Phytotron du Patscherkofel
par Louis
ROUSSEL.
En plein centre du Tyrol, sur les flancs d'un massif élevé qui domine de sa masse imposante la pittoresque ville d'Innsbruck, le Service Autrichien de la Protection contre les Avalanches termine, actuellement, une audacieuse construction d'une conception ultramoderne : le Phytotron du Patscherkofel, que nous avons eu l'occasion de visiter récemment.
D'où vient d'abord le nom étrange de Phytotron, d'un modernisme un peu agressif, et universellement usité, du reste, pour désigner ce que les forestiers autrichiens appellent également d'une façon plus simple: un bâtiment de climatisation (Klimahaus) ?
Il paraît que le Dr WENT, grand spécialiste des études de plantes en milieu artificiel, qui, le premier semble-t-il, eut l'idée de réaliser une vaste construction dont les nombreuses chambres étaient soumises à des conditions climatiques variées, aurait entendu certains de ses étudiants qui, un peu moqueurs, désignaient ainsi son installation, par analogie avec les cyclotrons, bêtatrons ou autres appareillages atomiques, et qu'il l'aurait lui-même adopté. Quoi qu'il en soit, il existe, dans le monde, quelques établissements de ce genre : le Phytotron de Pasadena aux Etats-Unis, notamment, et celui bien connu en France, de Gif-sur-Yvette, dirigé par le Pr. CHOUARD.
Celui du Patscherkofel présente des caractéristiques très spéciales, et dignes d'intéresser les forestiers de montagne : il est consacré à peu près exclusivement à l'étude des jeunes arbres, et il est établi à la limite de la végétation forestière, à 1900 m d'altitude, en plein coeur des Alpes Centrales.
M. l'Ingénieur Général des Eaux et Forêts MESSINES, dans la Revue Forestière Française de février 1959, avait déjà signalé les projets, en cette matière, du Service Autrichien de la Protection coutre les Avalanches. Des explications plus détaillées ont été fournies par le Dr TRANQUILLINI, Directeur de ce Phytotron, dans une brochure F.A.O. consacrée aux problèmes de la protection contre les avalanches. De ces documents, ainsi que des précisions qui nous ont été fournies, et à la suite de la visite mentionnée, nous pouvons donner, sur cette installation, les indications suivantes
Il y a, en Autriche, près de 200 000 hectares à reboiser, dont plus de 50 000 dans le Tyrol. La majorité de ces terrains est située en haute altitude, à proximité, ou au-dessus de la limite actuelle de la végétation forestière. Mais il est établi qu'autrefois, la forêt s'élevait beaucoup plus haut sur les pentes des montagnes, et que ce sont divers abus : le pâturage désordonné, la destruction systématique des arbres pour étendre les cultures, ou pour se procurer le bois de construction, de feu, ou celui nécessaire à la cuite des eaux salées, qui ont fait ainsi reculer la forêt. Les résultats de cette action sont des plus fâcheux. Les avalanches qui se déclenchent dans les zones dénudées chassent de la haute montagne les cultivateurs ou les éleveurs qui s'y accrochent encore, et causent dans les vallées des dégâts extrêmement importants.
Le flanc du Patscherkofel
où s'achève actuellement la construction du Phytotron. |
Il faut donc reconstituer une ceinture de forêts, en altitude, et, dans ce but, de nombreuses études géologiques, pédologiques, écologiques et physiologiques ont été entamées, avec des moyens très importants, par une équipe de chercheurs animée d'une foi ardente dans l'importance primordiale de sa tâche, et dans ses chances de succès.
Le Phytotron du Patscherkofel s'inclut dans ce vaste programme. Il s'agit d'une construction imposante, dont le coût sera certainement de l'ordre de 3 à 4 millions de nouveaux francs, où sont actuellement établies, dans le sous-sol, des machineries complexes permettant de créer à volonté des conditions de climat variées : vitesse de l'air atteignant 30 mètres par seconde, température variant de – 40° à + 50° C, précipitations d'importance inégale, etc... Ces machineries alimentent 3 cellules de climatisation (Klimazellen) de dimensions relativement réduites, installées à l'étage supérieur. Chaque cellule est une sorte de couloir qui peut être hermétiquement clos, et où de jeunes plants forestiers (pin cembro, épicéa, mélèze notamment) seront placés dans des conditions climatiques extrêmement variées, et suivant des " programmes " précommandés, qui se déroulent suivant des rythmes spécialement étudiés. La cellule est soumise à l'action de 5 lampes Xénon XBF 6000, très puissantes, puisque chacune d'elles peut donner un éclairement de 50 000 Lux (soit près de 10 fois ce que l'on obtenait avec les lampes usuelles employées pour l'éclairement artificiel des serres). Mais ces lampes étant décalées, il n'est possible d'obtenir, même en les concentrant, qu'un éclairement de l'ordre de 100 000 Lux, en un secteur donné. Or, en haute montagne, par temps clair avec nuages bien blancs, les chiffres enregistrés peuvent atteindre au moins 150 000 Lux. De vastes baies sont donc prévues qui permettront, en cas de besoin, de soumettre les végétaux étudiés à cette lumière intense et naturelle dans la station.
Les jeunes arbres forestiers seront examinés, dans ces différents climats, non seulement du point de vue morphologique (résistance à la chaleur, aux gelées précoces), ils seront aussi pesés avant et après leur passage dans la cellule, ce qui permettra de réaliser l'importance des phénomènes d'évaporation. En outre, chaque cellule est pourvue d'une dérivation qui peut envoyer une petite quantité de l'air baignant les sujets en étude, dans un appareil URAS ultrasensible, qui permettra de déceler les plus petites variations de sa teneur en gaz carbonique. Comme, en même temps que l'air provenant du contact des petits arbres, l'appareil URA S reçoit de l'air puisé en atmosphère libre, il sera possible d'enregistrer les variations du métabolisme carboné des plants, dans les conditions extrêmement variées des climats artificiels créés.
Puisque cet appareil est utilisé de façon constante dans les différents centres de recherches de physiologie végétale d'Innsbruck (Institut botanique, Station de lutte contre les avalanches notamment), nous croyons bien faire en donnant la reproduction du schéma établi par le Dr WINKLER, travaillant sous la direction du Pr PISEK à l'Institut botanique d'Innsbruck. L'appareil URAS proprement dit est figuré au bas du dessin (Ultrarot-Absorptionsschreiber). Il est suivi d'un enregistreur automatique à 6 couleurs, qui inscrit les variations de composition de l'air provenant de 6 directions différentes (Sechslarben-Fallhiigelschreiher). La distribution est assurée, chaque minute, grâce à un répartiteur (Gaz-Umschalter). L'air analysé a baigné les végétaux placés dans des cuves opaques (Atmungskammer : pour l'étude de la seule respiration), ou transparentes (Plexiglas-Assimilations-Kuvette : pour l'étude de l'assimilation chlorophyllienne brute) : ces derniers récipients étant éclairés grâce à des lampes Xénon XBF 6.000 du modèle déjà décrit, et placées à la partie supérieure du dessin. Ces lampes sont tellement puissantes qu'elles doivent être refroidies, en permanence grâce à un courant d'eau très pure (Kühlung). Les opérateurs ne peuvent travailler à cet endroit que munis de fortes lunettes sombres. La précision de l'appareil de l'Institut botanique est de l'ordre de 2 à 3 %, ce qui est remarquable, étant donne que la teneur moyenne en gaz carbonique de l'air est de l'ordre de 3/10 000. Mais l'appareil URAS du Phytotron, monté en dérivation est 100 fois plus sensible...
Installation complète d'un appareil URAS. (Schéma établi par le Dr Winkler.) |
Le lecteur doit se demander maintenant à quoi servira cette importante installation, au modernisme des plus développé, dont toutes les données à observer seront enregistrées automatiquement, de même que, nous l'avons dit, les types de climats artificiels créés seront déterminés par un appareillage complexe de cames soigneusement combinées à l'avance.
Le principe de base retenu par les forestiers autrichiens, promoteurs du projet, est que le boisement des stations de haute montagne (comme du reste celui des zones spécialement arides), ne peut s'effectuer que grâce à des " écotypes ", ou races locales, de pin cembro, d'épicéa, de mélèze ou d'autres essences forestières, parfaitement adaptées aux variations extrêmement brusques des microclimats locaux. Il existe, et ceci est certain, de tels " écotypes ", dans la nature; le Phytotron doit leur permettre, en quelque sorte, de " subir des examens ", et de sortir vainqueurs d'une série d'épreuves que l'on pourrait qualifier de brutales, puisque les jeunes arbres forestiers, provenant d'une pépinière d'altitude voisine, seront placés, par 50 ou 100, dans des conditions extrêmes de température, de lumière, de précipitations et de ventilations. Il faudrait, car les circonstances très défavorables, et, pour tout dire, éliminatoires, ne se reproduisent dans la nature qu'à intervalle éloigné (tous les 10 ou 15 ans peut-être), attendre très longtemps pour savoir, trop tard, si les " écotypes " installés correspondent bien aux conditions de la station. Dans le Phytotron, en quelques années, on aura un ensemble de renseignements extrêmement précieux qui permettront de sélectionner les races vraiment intéressantes. Bien entendu, en même temps que ces indications globales, et spécialement pratiques, l'installation servira à un ensemble de chercheurs qui, travaillant dans de vastes laboratoires, pourront, à la fois dépouiller la somme énorme des données fournies par les nombreux enregistreurs automatiques (certains inscrivent 50 données en même temps) et déceler, par des études poussées d'anatomie et de physiologie végétale, comment les jeunes arbres à l'étude se comportent exactement dans les rigueurs extrêmes du climat de haute montagne.
La limite de la végétation forestière
dans les Hautes Alpes autrichiennes (type de zone très difficile
à boiser). (Cliché Winkler.)
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Le Phytotron est enfin surmonté d'une sorte de tourelle d'observation météorologique, enregistrant des données variées, et nous y avons avec intérêt relevé spécialement : une cellule photoélectrique pour la lumière, un actinomètre pour la radiation solaire et un héliographe pour la durée d'insolation. Tous ces appareils sont, bien entendu, préservés de tout facteur d'erreur personnelle due aux observateurs, puisque l'enregistrement de leurs données est automatiquement assuré.
Connaissant les moyens relativement réduits dont disposent en France les chercheurs forestiers, nous n'avons pas manqué d'exprimer notre surprise au Dr TRANQUILLINI, Directeur de cette installation, devant l'importance de la somme qui sera dépensée pour sa construction, sans compter le budget nécessaire à son fonctionnement régulier (personnel et matériel). Il nous a été fait remarquer que, lors d'une seule avalanche récente, une usine électrique alimentant Innsbruck avait été à peu près détruite, et que le coût de sa reconstruction était supérieur à la valeur du Phytotron. En outre, chaque année, on a à déplorer, dans le Tyrol, du fait de phénomènes de ce genre, des pertes de vies humaines, de bétail, la destruction de routes et d'ouvrages d'art, de fermes et de hameaux et même de forêts situées en aval de la zone de décrochement de la neige. Le Gouvernement autrichien a fort bien compris le problème, et, devant la menace de dangers exceptionnels, il a réagi par l'octroi aux Services compétents, de moyens financiers également exceptionnels. On ne peut, en réalité, que l'approuver sans réserve.